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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Ullr

Dieu skieur et archer, chasseur et magicien.
Bref, un drôle d’ase
L’archer à ski de la pierre runique de Böksta (Suède) de 2,60 m de haut (xie siècle). Source : Swedish national heritage board, licence CC BY, photo de Bengt A. Lundberg

Ullr est un dieu ancien, mais aucun mythe ne subsiste sur lui. Ses traces embrouillées suggèrent qu’il a été une divinité majeure. Ces traces sont littéraires, toponymiques et archéologiques. Des sites suédois et norvégiens portent son nom. Ils indiquent qu’un culte lui était rendu. Certains sont couplés au nom de Freyr ou Njörðr.

Portrait d’Ullr

Snorri dit d’Ullr (Gylfaginning, str. 31) :

Un autre [ase] est appelé Ullr, fils de Sif, beau-fils de Þórr. Il est si bon archer et skieur que personne ne peut rivaliser avec lui. Il a aussi belle apparence et est un guerrier accompli. Il est bon de faire appel à lui pour les duels.

Ullr a quatre surnoms (Skáldskaparmál, chap. 14) :

[…] L’ase-du-ski, l’ase-de-l’arc, l’ase-de-la-chasse, l’ase-du-bouclier.

Ullr signifierait « Gloire », ou « (le) Glorieux ».

Ullr, un ase… ou un alfe ?

Ullr est un dieu ase. C’est le fils de la déesse Sif. Il n’a pas de père connu – ce qui est assez rare pour un ase. Heureusement, Þórr, le premier des ases, est son beau-père.

L’appartenance d’Ullr aux ases, martelée par ses quatre surnoms, ne peut dissiper les doutes sur son ascendance. Les indices suggèrent qu’Ullr, vanté pour sa beauté, archer et magicien est un alfe. Il a tous les traits du seul alfe bien connu, Völundr, avant sa capture par un roi (Völundarskviða).

Dans l’inventaire immobilier des dieux, Ullr est le deuxième dieu cité, après Þórr (Grímnismál, str. 5). Il partage – et est le seul à partager avec un autre dieu – une strophe avec Freyr, logé dans le Monde-de-l’alfe.

Et pourtant, c’est bel et bien Ullr qui remplace Óðinn, lors de son exil d’Ásgarðr.

Ullr, remplaçant d’Óðinn

Ullr vit aux Ýdálir « Vallées-de-l’if » (Grímnismál, str. 5). L’if est le bois traditionnel des arcs. Et l’arc est l’arme des alfes (tels Völundr). Ýdálir est calé entre les domaines de Þórr et Freyr. En somme, Ullr loge entre deux dieux majeurs. Il se substitue a priori au troisième et dernier dieu majeur, Óðinn… qu’il remplace de fait temporairement selon Saxo Grammaticus ↗.

Ullr chez Saxo Grammaticus

Pour Saxo (Geste des Danois, livre III), Ollerus (Ullr latinisé) a remplacé Óðinn (Othinus) exilé pour le viol de Rindr (Rinda) et la conception de Váli, vengeur de Baldr. Au retour de l’exilé, Ollerus est chasséé. Il émigre en Suède, où il est tué par les Danois. Ceux-ci voient d’un mauvais œil ce magicien voguer sur un os au lieu d’un bateau convenable. Cela dit, un patin à glace (ísleggr « jambe-à-glace ») est bien pratique quand la mer est gelée. Pour Snorri, cependant, le bateau d’Ullr est son bouclier (Skáldskaparmál, chap. 48). Gageons que son bouclier bizarre lui serve plus de snowboard que de surf.

Le patin à glace (emprunté aux Finnar) était en os (un métatarse de cheval ou bovin de préférence). Il est monté sur une chaussure de cuir découverte à York (Jorvik viking) en Angleterre

Noter qu’Óðinn est remplacé par ses frères (Vili et Vé) lors de son absence (volontaire) dans l’Ynglinga saga (str. 3) de Snorri et les Eddas. Cela étant, Ullr aurait lui-même un frère du nom d’Ullinn (à comparer aux noms d’Óðr et Óðinn).

Ullr, Skaði, Baldr et les vanes

Rien ne rapproche Ullr de la déesse Skaði. Pourtant, l’ase-du-ski présente maintes affinités avec la dise-du-ski. Tous deux sont manifestements hivernaux. Tous deux sont associés peu ou prou à Njörðr et à Freyr. Skaði espérait épouser Baldr, mais dut se contenter de Njörðr.

Ullr  bâtit pour lui-même une halle  (Grímnismál, str. 5, vers 2). Njörðr également  bâtit pour lui-même une halle  (Grímnismál, str. 16, vers 3). Baldr enfin  bâtit pour lui-même une halle  (Grímnismál, str. 12, vers 3). Ces vers quasi identiques ne sont jamais anodins dans la bouche d’un poète de l’Edda. Ils clament un lien entre Ullr et Njörðr (déjà attesté par la toponymie), et un lien à peine plus distant avec Baldr. Snorri n’est pas en reste. La liste des ases de sa Gylfaginning est explicite :

Snorri place Ullr entre le vengeur et le fils de Baldr. Dans la liste des dieux des Grímnismál (str. 4 à 17), Þórr, Ullr et Freyr sont les trois premiers dieux cités et les seuls sans numéro (avec le dernier dieu cité). Si on compare les deux listes, Snorri substitue Baldr à Ullr. Il existerait donc un lien mystérieux entre Ullr et Baldr. Un anneau, peut-être ?

L’anneau d’Ullr

Des anneaux ont été découverts sur un site suédois consacré à Ullr. On prêtait serment sur son anneau selon un poème héroïque de l’Edda parmi les plus anciens selon les experts (Atlakviða « Lai d’Atli », str. 30)  :

« Qu’il en aille de toi, Atli,
Comme des serments solennels
Que tu prêtas avec Gunnar
Et auxquels tu t’engageas jadis,
Sur le soleil penché au sud
Et sur la colline de Sigtýr,
Le coursier du lit-de-repos,
Et sur l’anneau d’Ullr. »

Faire un serment sur un anneau est une tradition germanique, que les Scandinaves perpétuèrent. Que ce serment soit prêté sur celui d’Ullr est plus insolite (c’est sa seule mention). Les autres serments sont carréments obscurs.

L’anneau mythique est l’attribut d’Óðinn (Skáldskaparmál, chap. 35). En principe. Parce que Baldr en est aussi détenteur (Skáldskaparmál, chap. 5). Il l’emporte dans l’Au-delà et le renvoie à Óðinn (Gylfaginning, chap. 49).

Une procession est représentée sur la pierre historiée de Tängelgårda (Gotland, Suède). Un Óðinn potentiel la mène sur un Sleipnir potentiel. Une file d’hommes à pied la suit. Chacun tient un anneau à la main. Ces guerriers potentiels sont a priori en partance pour la Valhalle et accueillis par une valkyrie la corne levée.

Il semble donc que l’anneau a aussi un lien (mystérieux) avec la mort.

Le bouclier d’Ullr

L’arc d’Ullr et son bouclier pourraient faire de lui un dieu du ciel. En guise de flèche, cette arme de jet enverrait la foudre. L’arc est un long bâton, mais il devient cornu et extensible quand il est bandé, comme la lune. Le bouclier circulaire qui traverse la mer rappelle la lune pleine qui se reflète sur ses flots.

Le « bouclier d’Ullr » est une kenningr courante pour bateau en poésie scaldique.

Ullr et l’if

Grímnir, alias Óðinn, évoque à la file (Grímnismál, str. 40 à 44) :

Ullr loge aux Ýdálir « Vallées-de-l’if ». Il a sans doute un lien avec l’alfe Ívaldi « Pouvoir-de-l’if » (traduction contestée). Via Ýdálir, il est allitératif avec Ymir, le géant primordial, et Yggdrasill, l’arbre du monde. Les quatre personnages sont donc tous liés à l’if – au pire, par l’allitération.

Ýr « if » est le nom d’une rune. C’est la dernière du fuþark scandinave et la seule à avoir été déplacée du fuþark germanique originel.

Les fils d’Ívaldi sont des alfes-noirs (ou nains), charpentiers du bateau de Freyr, fils de Njörðr (est-il précisé). Ullr, Freyr et Njörðr sont donc enchâssés entre Ymir, dont le corps a fourni la matière du monde, et Yggdrasill, l’arbre du monde.

Ullr et Freyr se côtoient à nouveau. Un chasseur et un sacrificateur (du secteur de la fertilité-fécondité lié à l’agriculture) restent une drôle de combinaison.


Notes

[1] La description du site provient de Neil Price, « Nine Paces from Hel: Time and Motion in Old Norse Ritual Performance », dans World Archaeology, 46:2, 2014. <DOI : 10.1080/00438243.2014.883938>