Völundarkviða « Le lai de Völundr »
Nouvelle traduction intégrale du 10e poème de l’Edda poétique
(xiiie siècle, auteur anonyme)
Lien vers le texte en langue originale heimskringla.no ↗
De Völundr
Il y avait un roi en Suède appelé Níðuðr. Il avait deux fils et une fille. Celle-ci avait nom Böðvildr. Il était trois frères, fils du roi des Finnar [1]. L’un était Slagfiðr ; un autre, Egill, et le troisième, Völundr. Ils skiaient et chassaient les bêtes sauvages. Ils vinrent au Val-du-loup et bâtirent là leur maison. Il y a en ce lieu un lac du nom de Lac-du-loup. De bon matin, ils trouvèrent trois femmes sur sa rive, et elles filaient du lin. Il y avait près d’elles leur forme-de-cygnes ; c’étaient des valkyries. Il y avait deux filles du roi Hlöðvér, Hlaðguðr Svanhvítr et Hervörr Alvítr [2], mais la troisième était Ölrún, la fille du Kiárr de Vallande [3]. Ils les emmenèrent dans leur maison. Egill s’unit à Ölrún, et Slagfiðr, à Svanhvítr, mais Völundr, à Alvítr. Ils vécurent [ensemble] sept hivers. Alors, elles s’envolèrent en quête de batailles et ne revinrent pas. Alors, Egill partit à ski chercher Ölrún et Slagfiðr alla chercher Svanhvítr, mais Völundr s’assit au Val-du-loup. C’était un homme si habile qu’il était connu des humains des histoires anciennes. Le roi Niðuðr le fit prisonnier, comme il est raconté ici :
- Des vierges volèrent du sud
À travers la Forêt-obscure,
De jeunes créatures
Aux destins à remplir.
Sur la rive du lac
Elles se reposèrent ;
Les filles du Sud,
Leur précieux lin filèrent. - L'une d’elles
Étreignit Egill,
La gracieuse vierge vive,
Dans ses bras brillants ;
La deuxième était Svanhvítr,
Elle portait les plumes-de-cygne [4] ;
Mais la troisième,
Leur sœur,
Veilla sur le blanc
Cou de Völundr. - Elles restèrent
Sept hivers,
Mais tout le huitième,
Dépérirent
Et au neuvième,
La nécessité les sépara ;
Les damoiselles avaient le désir
De la forêt obscure ;
Les jeunes créatures
Avaient des destins à remplir. - Rentra de chasser
Le fin tireur en vent-versé
[Völundr passant
Sur la longue piste]
Slagfiðr et Egill
Trouvèrent salles vides,
Trottèrent dehors et dedans,
Et regardèrent partout. - À l’est skia Egill
Après Ölrún ;
Et au sud, Slagfiðr
Après Svanhvítr.
Mais Völundr, seul,
S’assit au Val-du-loup. - Il battit l’or rouge
Enserrant la gemme ferme ;
Il enferma bien tous
Les anneaux d'un cordon.
Alors il attendit
Sa radieuse épouse,
Au cas où elle reviendrait vers lui. - Níðuðr l’apprit,
Chef des Njárar,
Que seul Völundr
Était assis au Val-du-loup ;
À la nuit, ses hommes partirent,
Cloutées étaient les broignes,
Leur bouclier brillait
Sous la lune déclinante. - Descendirent de selle
Au pignon de la halle,
De là, ils marchèrent
D’un bout à l’autre de la salle ;
Ils virent sur une corde
Les anneaux enfilés,
Sept cents en tout,
Que cet homme possédait. - Et ils les prirent
Et les remirent,
Sauf un,
Qu’ils retinrent. - Rentra de chasser
Le fin tireur en vent-versé,
Völundr passant
Sur la longue piste.
Alla rôtir la chair
De l’ourse brune ;
Vite brûla le fagot
De sapin sec,
Le bois desséché par le vent,
Devant Völundr. - S’assit sur la peau d’ourse,
Compta les anneaux
Le prince des alfes,
Un manque ;
Il pense qu’elle l'a,
La fille de Hlöðvér,
La jeune Alvítr,
Qu’elle est revenue. - Il s’assit si longtemps
Qu’il s'assoupit,
Et il s’éveilla
Sans joie ;
Il sentit sur ses mains
Des entraves pesantes,
Et à ses pieds,
Une chaîne attachée. - [Völundr dit :]
« Qui sont les princes
Qui ont placé
Autour de moi la corde
Et m’ont entravé ? » - Alors, demanda Niðuðr,
Chef des Njárar :
« Où as-tu trouvé, Völundr,
Prince des alfes,
Cet or qui est à nous
Au Val-du-loup ?
Il n’y avait pas d'or
Sur la route de Grani [5] ;
Loin, je croyais notre pays
Des collines du Rhin [6]. » - [Völundr dit :]
« Je me rappelle que nous avions
Bien plus grande fortune
Quand nous étions toute une famille
En notre maison. »
Hlaðguðr et Hervör
Étaient nées de Hlöðvér ;
Ölrún était célèbre,
La fille de Kíarr. » - [Dehors se tient la femme
En magie-versée de Níðuðr.]
Dedans, elle traversa
La longueur de la salle,
Se campa sur le sol,
D’une voix contenue dit :
« Il n’est pas doux [7] maintenant
Celui du bois sorti. »
Le roi Níðuðr donna à sa fille Böðvildr cet anneau-d’or, qu’il avait pris de la corde chez Völundr, et lui-même portait l’épée que Völundr possédait. Et la reine dit :
- « Ses dents, il expose [8]
Quand l’épée lui est montrée
Et qu’il reconnaît
L’anneau de Böðvildr ;
Ses yeux sont pareils
À ceux luisants du serpent.
Tranchez-lui
La force de ses tendons
Et mettez-le ensuite
Dans Sævarstöð [9]. »
Ainsi fut fait. Les tendons furent coupés au creux de ses genoux et on le mit dans une île proche de la côte, appelée Sævarstaðr. Là-bas, il forgeait pour le roi toutes sortes de joyaux. Personne n’osait aller à lui, à part le roi. Völundr dit :
- « À la ceinture de Níðuðr
Resplendit l'épée,
Celle que j’ai aiguisée
Du mieux que j’ai su,
Comme je l’ai durcie
Du mieux que j’ai pu.
Cette lame étincelante est
À jamais hors de ma portée ;
Je ne la vois pas par Völundr
À la forge apportée.
À présent Böðvildr porte,
De mon épouse,
– À cela, je n’ai remède –
Les anneaux rouges. » - Il était assis, sans dormir jamais,
À frapper de son marteau ;
Assez vite, il machina
Un plan contre Níðuðr. - Deux jeunes gens foncèrent
Voir les trésors [10],
Les fils de Níðuðr,
Dans Sævarstöð. - Ils allèrent au coffre
Demandèrent les clefs,
Patent était le plan pernicieux,
Quand dedans ils regardèrent.
Des tas de colliers étaient là,
Qui parurent aux garçons
Être d’or rouge,
Et des objets précieux. - [Völundr dit :]
« Venez seuls tous les deux,
Venez un autre jour ;
Je vous ferai donner cet or
À tous deux
Ne dites pas aux servantes
Ni à la maisonnée,
Ni à personne,
Que vous êtes venus me trouver. » - Bientôt, un jeune homme
Appela l’autre,
De frère à frère :
« Allons voir les anneaux. »
Ils allèrent au coffre
Demandèrent les clefs,
Patent était le plan pernicieux
Quand dedans ils regardèrent. - Tranchèrent les têtes
À ces oursons
Et sous la bourbe des fers,
Plaça leurs pieds,
Mais de ces bols
Sous leur cheveux,
Il les a enclos d’argent,
À Níðuðr les donna.
Et des yeux,
[Fit] Scintillantes-gemmes,
Qu’il envoya à la savante
Femme de Níðuðr.
Mais des dents
Des deux [garçons],
Il forgea des broches ;
Les envoya à Böðvildr. - Alors Böðvildr
Vanta l'anneau
[À Völundr apporté]
Qu’elle avait brisé.
« Je n’ose le dire,
Sauf à toi seul. » - [Völundr dit :]
« Je réparerai si bien
la cassure de l’or,
Qu’à ton père
Il paraîtra plus beau
Et à ta mère,
Encore mieux,
Et à toi-même,
Tout pareil. » - Lui apporta la bière,
Car il en savait plus qu’elle,
Si bien que sur le siège
Elle s’assoupit.
« Maintenant, j’ai vengé
Mes souffrances,
Toutes sauf une,
Scélérate [11]. » - « Je choisis, dit Völundr,
Qu’il m'échoit des pieds palmés,
De ceux dont les gens de Níðuðr
M’ont privé. »
En riant, Völundr
S’éleva dans les airs.
En pleurant, Böðvildr
Quitta l’île,
Peinée du départ de son amant
Et de la rage de son père. - [Dehors se tient la femme
En magie-versée de Níðuðr,]
Dedans, elle traverse
La longueur de la halle :
Mais, sur l’enclos, il est [12]
Assis à se reposer.
« Es-tu réveillé, Níðuðr,
Chef des Njárar ? » - [Níðuðr dit :]
« Je veille sans trêve
Sans-joie ;
Me fuit le sommeil
Depuis la mort de mes fils ;
Ma tête est de glace pleine,
Froids sont tes conseils.
Je voudrais à présent
Parler à Völundr. » - « Dis-moi donc, Völundr,
Prince des alfes,
Qu’arriva-t-il vraiment
À mes oursons ? » - [Völundr dit :]
« Tu dois me jurer avant
Tous les serments,
Par le bordage du bateau,
Et le bord du bouclier,
Par l’épaule du cheval
Et la lame du couteau
Que tu ne maltraiteras pas
La femme de Völundr,
Ni de ma fiancée
Ne causeras la mort,
Quoique nous aurions femme.
Que vous connaîtriez,
Ou aurions marmot
Dans votre halle. - Va à la forge,
Celle que tu as faite,
Tu y trouveras des soufflets
De sang éclaboussés,
J’ai tranché les têtes
De tes oursons,
Et sous la fange de la chaîne,
Entreposé leurs jambes. - Mais ces bols
Qui sous les cheveux sont,
Je les ai enclos d’argent,
Je les envoyais à Níðuðr,
Et des yeux,
[Fis] Pures gemmes ;
Les envoyai à la savante
Femme de Níðuðr,
Et des dents
De tous deux
J’ai forgé des broches,
Les envoyai à Böðvildr. - À présent, Böðvildr
Porte un enfant,
Votre seule fille
À vous deux. » - [Níðuðr dit :]
« Tu n’a jamais prononcé parole
Qui pourrait m’affliger plus
Et je ne voudrais, Völundr,
Te faire subir pire ;
Il n’est pas homme assez grand
Pour t’attraper de son cheval,
Ni assez fort
Pour t’abattre du sol ;
Là-haut, tu flottes
Avec les nuages. » - En riant, Völundr
S'éleva dans les airs,
Mais le morne Níðuðr
Resta assis là. - [Níðuðr dit :]
« Lève-toi, Þakkráðr,
Ma meilleure esclave,
Mande Böðvildr,
La fille aux brillants cils,
Que le beau-manteau vienne
Parler à son père. » - « Est-ce vrai, Böðvildr,
Ce qu’on m’a dit :
Völundr et toi vous êtes assis
Ensemble dans l’île ? » - [Böðvildr dit :]
« C’est vrai, Níðuðr,
Ce qu’il t’a dit :
Völundr et moi nous sommes assis
Ensemble dans l’île
En une heure-sombre [13] ;
Jamais je n’aurais dû.
Face à lui, rien
Je ne savais ;
Face à lui, rien
Je ne pouvais
En ce temps d’angoisse. »
Notes
[1] Les Finnar sont les anciens Saames et Finlandais (au moins en partie pour ces derniers). Ils pratiquaient le chamanisme. Leur magie était réputée et redoutée par les Vikings.
[2] Les deux premières femmes-cygnes portent des noms alternatifs sans raison explicite.
[3] Kiárr « César de France », alias Clovis.
[4] Jeu de mot énigmatique sur Svanhvítr, Slagfiðr (époux de Svanhvítr) et le mot svanfjaðrar « plumages-de-cygne ». Svan- est le premier élément de svanfjaðrar et Svanhvítr ; -fiðr est le second élément de Slagfiðr et svanfjaðrar. Le tout donne Slagfiðr pour époux de Svanhvítr. Je reste perplexe sur le sens exact du vers (notamment du verbe).
[5] Grani est le cheval du héros Sigurðr dont l’histoire compose une grande partie des poèmes héroïques de l’Edda. Sigurðr, sous le nom de Siegfried, est aussi le héros de la légende germanique des Nibelungen qui raconte l’histoire de l’or du Rhin.
[6] Le mauvais état du poème ne permet plus de certifier si la demi-strophe est prononcée par le roi Níðuðr ou par Völundr.
[7] Il y a sans doute un jeu de mots sur hýrr « doux » et hyrr « feu ».
[8] Teygjaz, littéralement « s’étire » ou « est tenté de, incité à ».
[9] Sævarstöð « Maison-du-lac (ou de la mer) ».
[10] Dýr « précieux » est pris substantivement pour « choses précieuses ». Cela étant, dýr veut aussi dire « animal sauvage ». Il y a donc un jeu de mots sur les objets précieux et leur créateur, Völundr, comparé à une bête féroce (un loup probable, puisqu’il vient du Val-du-loup).
[11] Sur íviðgirna, correction de -giarira, dénué de sens. Il me semble qu’il s’agit de la reine qui a fait couper les tendons de Völundr.
[12] Impossible de certifier s’il s’agit de Völundr ou du roi. Je penche du côté de Völundr.
[13] Selon Ursula Dronke, il y aurait un jeu de mot sur ögurstund, que j’ai traduit par « heure-sombre ». Ögurstund indiquerait aussi le changement de marée. Comme Völundr s’est habillé en cygne aquatique et migrateur, telles les femmes-cygnes posées sur le Lac-du-loup du début de l’histoire, cela valait la peine d’être signalé.
Commentaires
Le mythe de Völundr est placé en tête des poèmes du volet héroïque de l’Edda poétique. Il est unique en son genre car, bien qu'aucun dieu n’y intervienne, son héros n’est pas (tout à fait) humain : c’est un alfe. Fils des Finnar, notre héros n’a PRESQUE plus rien de germanique. Il vit assurément au Miðgarðr « Enclos-du-milieu », où vivent les humains, comme le prouveront ses ennuis avec eux. En fait, tout concourt à penser que l’Àsgarðr « Enclos-de-l’ase», le monde des dieux, n’a pas encore été édifié, que les dieux ne sont pas encore nés, ou évoluent encore sur terre.
Malgré sa place dans l’Edda, le mythe de Völundr n’ouvre donc pas son cycle héroïque : il le referme pour ouvrir son cycle mythique. Cette correction faite, on peut apprécier l’envergure de Völundr, et son drame (les mythes héroïques finissent mal, en général).
Le forgeron illustre
Le mythe de Völundr a une longue histoire et une origine germanique TRÈS probable. Völundr est déjà attesté au ixe siêcle sur la huitième pierre historiée d’Ardre ↗, sur l’île de Gotland (Suède). Il devient Velentr dans Þiðreks, une saga légendaire du xiiie siècle. Il y forge l’épée Mímungr après son apprentissage chez le géant Mímir et chez des nains du mont Kallava. Son frère Egill, archer d’élite, collecte les plumes des cygnes qu’il chasse pour que Velentr forge des ailes et s’échappe.
Sous le nom de Weland, Völundr intervient aussi dans plusieurs poèmes en vieil anglais contemporains des Vikings, dont Deor (avec Niðhad et Beodohilde), Waldere et Beowulf (où il se contente de forger les armes d’un héros).
Son existence est déjà attestée et illustrée au viiie siècle sur un reliquaire anglo-saxon, le coffret d’Auzon ↗.
Son homologue grec : Dédale
Völundr a enfin pour cousin éloigné le Grec Dédale ↗, architecte du Labyrinthe. Le roi Minos destinait le Labyrinthe au Minotaure, son fils monstrueux, mais y enferme aussi Dédale et son fils Icare. Les captifs s’évadent grâce aux ailes de plumes encollées de cire que fabrique Dédale. Icare s’approche trop près du soleil. La cire fond et il tombe dans la mer.
Völundarhús « maison-de-Völundr » (littéralement) est encore aujourd’hui un labyrinthe en islandais.
Völundr emprunte à tous ces parents. Il a même la vanité d’Icare, puisqu’il cherche à enfermer le soleil, et la monstruosité du Minotaure. Au bout du compte, leur parenté ne fait qu’accentuer leurs différences. Völundr est unique, peut-être parce qu’il est prince des Finnar. Le poète lui a ainsi insufflé une autre dimension.
Le départ de Völundr
L’envol de Völundr n’est pas qu’une évasion et, malgré sa métamorphose en cygne, n’est pas qu’une migration. C’est aussi le départ définitif des alfes du Miðgarðr des humains pour l’Ásgarðr des dieux – ou pour le ciel tout au moins. Cet exil pourrait avoir été à l’origine des dieux. De fait, l’histoire de Völundr est insérée à la charnière de l’Edda entre les héros et les dieux.
Le mythe explique la cause de la désertion des alfes, mais il raconte aussi que leur prince a laissé derrière lui un héritier, mi-humain, mi-alfe.
Völundr a aussi laissé son épée, insigne guerrier du pouvoir, et son anneau, a priori marital. C’est peut-être pourquoi les alfes n’ont plus de rôle guerrier ni d’épouses chez les dieux.
Un personnage triple
La vie de Völundr est divisée en trois périodes :
- Le prince heureux des Finnar et des alfes s’installe au Val-du-loup. Il est entouré de frères et d’épouses. Ce sont des égaux : les alfes sont tous princes et leur épouse, toutes princesses. L’amour les soude, mais la nécessité (migratoire), c’est-à-dire le Destin, va les séparer. Bien que surnaturels, ils vivent près des humains – et sont d’origine peu ou prou humaine.
- Cet alfe-là pourrait personnifier un alfe-lumineux de la nomenclature des trois types d’alfes de Snorri.
- Le chasseur devient un forgeron solitaire.
- Cet alfe pourrait personnifier un alfe-ténébreux de Snorri.
- Völundr devient captif de guerriers et esclave d’un roi cupide. Le roi guerrier qui l’a capturé l’appelle d’emblée le chef des alfes. Ici, les rapports humains, y compris familiaux, sont hiérarchisés. Les guerriers obéissent à un chef et les femmes (épouse, fille, esclave) n’ont d’existence sociale que par rapport au roi. Néanmoins, seule la femme esclave est soumise.
- Cet alfe-là pourrait personnifier un alfe-noir de Snorri. Estropié, il devient « tordu » comme un nain.
- Même forgeron, Völundr reste un chasseur. Les fils du roi sont le gibier de luxe à partir duquel il crée ses nouveaux chefs-d'œuvre, où il déploie ses talents surnaturels. Il procrée dans le même temps et affirme son rôle dans la fertilité-fécondité.
La première et la dernière période sont en miroir :
- Völundr est entouré de ses deux frères et des trois femmes-cygnes dans la première ;
- Dans la seconde, le roi est entouré de ses deux fils et de trois femmes (épouse, fille, esclave).
Les deux frères de Vö́lundr disparaissent tandis que les deux fils du roi sont tués. La sœur de ces derniers porte l’enfant de Völundr et remplace la femme-cygne dont elle détient l’anneau nuptial. Cette fois, c’est Völundr qui part.
Que la période désastreuse de la vie de Völundr ne soit qu’un affreux cauchemar est à considérer puisqu’elle commence quand Völundr s’endort. Noter que de mauvais rêves (à la teneur inconnue, sauf qu’ils présagent sa mort) sont justement à l’origine du meurtre du dieu Baldr, détenteur d’un anneau d’or magique.
Les anneaux d’or mythiques
Draupnir
Officiellement, Draupnir « Goutteur » est l’anneau magique d’Óðinn. Il a été forgé par deux frères nains. Óðinn le remit à son fils Baldr étendu sur son lit funéraire. Noter qu’en général, le père mourant donne à son héritier son anneau pour lui transmettre son pouvoir. L’inverse se produit ici. Baldr renvoie son anneau à Óðinn de l’Au-delà.
Baldr habitait la septième maison mythique (Grímnismál, str. 12). Draupnir fabrique automatiquement toutes les neuf nuits huit anneaux identiques à lui-même. Or, les trois nombres (sept, huit et neuf) rappellent les femmes-cygnes qui partagent sept ans de bonheur avec les alfes, avant d’avoir le mal de leur pays à la huitième, pour finalement partir à la neuvième. C’est, à ma connaissance, la seule fois que ces trois nombres sont réunis dans les mythes.
Andvaranautr
L’Andvaranautr « Cadeau-d’Andvari » est un anneau d’or. Il produisait toute la richesse (le fameux or du Rhin) du nain Andvari. Loki lui confisque son trésor. Andvari maudit alors or et anneau.
L’anneau est ensuite volé par le nain Fáfnir à son père qu’il a trucidé, mais son frère Reginn le lui dispute.
Andvari a été métamorphosé en brochet par une norne. Fáfnir se change en serpent pour protéger son or. Noter que les yeux de Völundr sont comparés à ceux d’un serpent par la reine (str. 17). Völundr forge l’épée que lui confisque le roi humain Níðuðr. De son côté, Reginn forge l’épée de son protégé, le héros humain Sigurðr. Celui-ci, bien-aimée d’une valkyrie, a une fille appelée Svanhildr (de svan « cygne »).
Les femmes-cygnes
Le prologue en prose affirme que les femmes-cygnes sont des valkyries. En principe, les valkyries sont des guerrières à cheval comparées à des corbeaux au service du dieu Óðinn.
Le corbeau charognard est un familier des champs de bataille. Le cygne aquatique et migrateur est plus en affinité avec les expéditions lointaines et saisonnières – vikings, en particulier. Et pourtant, la première mention d’une valkyrie l’associe ipso facto à un cygne.
Les trois femmes-cygnes sont Ölrún « Rune ou Secret-de-la-bière » (femme d’Egill) et les deux sœurs, Alvítr (femme de Völundr), et Svanhvítr « Blanc-Cygne » (femme de Slagviðr). Une ascendance royale (méridionale et franque) est donnée aux deux sœurs avec leur double nom guerrier d’Alvítr Hervör « Armée-avisée » et de Svanhvítr Hlaðguðr « Bandeau-de-guerre ». Ce sont les filles de Hlöðvér (alias Clovis). Ölrún « Rune ou Secret-de-la-bière » est la fille du César (Kjárr) de Valland « France ». Les trois filles sont donc sœurs car Clovis est roi des Francs ! Valland, littéralement « Terre-des-guerriers-occis » (francisé en Vallande) est un lieu de naissance idéal pour des valkyries « celles-qui-choisissent-les-guerriers-occis ».
Marier le forgeron Völundr à une femme-cygne filant le lin est propre aux mythes scandinaves. Personne ne sait où Völundr a atterri, mais il est possible qu’il se soit posé en Ásgarðr, chez les dieux célestes. Qu’il ait changé d’identité est dans l’ordre des choses mythiques, qui adorent brouiller les pistes. C’est que la mythologie nordique constitue un ensemble dynamique d’un monde en mouvement perpétuel.