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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Les dieux de la semaine

Les anciens dieux nous donnent rendez-vous chaque semaine. Au-dessus de nos têtes, planètes et constellations assurent l’immortalité des rescapés de l’Olympe. La semaine française est sous la tutelle des dieux romains. Les semaines anglaise et norroise sont sous celle des dieux germaniques – à quelques bizarreries près.

Tableau comparatif des jours de la semaine
Semaine française Semaine anglaise Semaine norroise
dimanche jour du Seigneur Sunday jour du Soleil Sunnudagr jour du Soleil
lundi jour de la Lune Monday jour de la Lune Mánadagr jour de la Lune
mardi jour de Mars Tuesday jour de Tyr Týsdagr jour de Týr
mercredi jour de Mercure Wednesday jour de Wodan Óðinsdagr jour d’Óðinn
jeudi jour de Jupiter Thursday jour de Thor Þórsdagr jour de Þórr
vendredi jour de Vénus Friday jour de Frigg Frjádagr jour de Frigg
samedi jour de sabbat Saturday jour de Saturne laugardagr jour du BAIN

La semaine

Les Romains adoptent la semaine de sept jours (hebdomadaire). Ils donnent à ces jours les noms du Soleil, de la Lune et des cinq planètes [1] connues. L’empire se christianise (324) avant de s’effondrer (476). Les chrétiens gardent la semaine de sept jours. Dieu a justement créé le monde en sept jours, même s’il se repose au septième (d’où le sabbat du samedi français). L’Église remplace aussi le jour du Soleil par celui du Seigneur. À ma connaissance, elle tente également de donner des numéros aux autres jours, sans grand succès. L’Islande est une des rares exceptions [2].

On ne sait trop comment les païens scandinaves nommaient les planètes. Les jours de la semaine dans les langues germaniques sont le legs de la correspondance établie par Tacite ↗ (ier siècle) entre panthéons romain et germanique. Ou interpretatio romana « interprétation romaine (des dieux germaniques) ». L’interpretatio germanica « interprétation germanique (des dieux romains) » fait l’inverse avec les jours de la semaine. En conséquence, les jours de la semaine dans les langues germaniques ne sont plus alignés sur le nom des planètes, mais sur ceux des dieux. Cette interprétation est réalisée pendant les Grandes Migrations (ive-vie siècle).

Seuls trois dieux et une déesse sont concernés par cette traduction. Ils appartiennent tous à la famille divine des ases.

Mini-panthéon scandinave hebdomadaire

Dimanche

La semaine commence par le soleil et la lune. Pour les germano-scandinaves, le soleil est féminin et la lune est masculine. La semaine rappelle l’importance des « porteurs de lumière » pour la mesure du temps.

Pour comprendre la distribution des jours de la semaine, il faut se rappeler que le temps a une longue Histoire. Tout le monde sait aujourd’hui que l’année se base sur le Soleil. Plus exactement, elle correspond à une révolution de la Terre autour du Soleil. Or, l’héliocentrisme (la Terre tourne autour du Soleil) n’est pas découvert avant Nicolas Copernic ↗ (1473-1543). Il faut encore pas mal de temps et le premier télescope pour que Galilée ↗ (1564-1642) le démontre. Il préfère se rétracter devant le tribunal du Saint-Siège plutôt que brûler vif. Auparavant, et souvent avec précision, le calcul du temps faisait intervenir le Soleil ET la Lune.

On connaît mal le calendrier scandinave, son élaboration, ou son fonctionnement (si je ne m’abuse). En revanche, on sait que le Soleil était particulièrement vénéré à l’âge du bronze. Il semble qu’il ait perdu de son éclat avec le temps. En tout cas, les deux astres sont d’une grande modestie APPARENTE dans la mythologie viking. Sól « Soleil » et son frère sont les incarnations respectives du Soleil et de la Lune (Vafþrúðnismál, str. 23). Snorri en fait de pâles doublures des astres, condamnées à servir les dieux (Gylfaginning, chap. 11). Sól devient ainsi la cochère du Soleil.

Dimanche garde le nom de son homologue germanique, Sunna. Sans explication.

Lundi

Le lundi est illuminé par la lune. Máni, le frère de Sól, l’incarne. Les journées scandinaves se mesuraient en nuits, ce qui résume sa prééminence.

Photo de la Lune

Pourtant, la force de la lune n’est pas reconnue d’emblée. Aucun corps céleste n’a de place attitrée avant l’intervention des dieux (Völuspá, str. 5). On sait seulement que le soleil a permis à la végétation de pousser (Völuspá, str. 4) – d’où sa prééminence initiale. Le mot ár « année » a aussi le sens de « saison ». Les Scandinaves n’avaient que deux saisons : l’été et l’hiver. Celles-ci sont gouvernées par le soleil. On ne sait pas encore que l’intensité et la chaleur du soleil dépendent aussi de la lune – des douze lunes (lunaisons). Autrement dit, la lune ne connaissait pas (encore) sa force (Völuspá, str. 5). À partir de là, la lune masculine prend le dessus sur le soleil féminin. L’année est alors divisée en mois (mánaðr, dérivés de Máni).

La Lune meurt au cours de la destruction (provisoire) du monde, le Ragnarök. Pas de panique : comme le phœnix, elle renaît de ses cendres chaque mois. Máni est avalée par un loup, comme les dieux Týr et Óðinn. Ces deux dieux ont justement été enrôlés dans les jours de la semaine.

Máni et Sól ne sont pas (ou plus) des dieux. Autrement dit, ils ont perdu de leur puissance surnaturelle. Apparemment.

Mardi

Premier dieu de la semaine, Týr « Dieu », est aussi le nom d’une rune. Il est même le seul dieu à bénéficier d’un tel honneur dans le fuþark scandinave. Týr est inséparable du loup, qui dévore sa main. Son nom et sa place ici révèlent son importance, malgré son effacement mythique.

Garant des lois, Týr rappelle la place de celles-ci dans le monde germanique. Pour Tacite, il était l’homologue de Mars, le dieu romain de la guerre. De fait, les tribus germaniques étaient plus guerrières que fermières. La mythologie fait état d’au moins deux guerres. Or, Týr n’intervient dans aucune.

Manchot, Týr se singularise par le moins. Pour Georges Dumézil ↗, les mutilations divines sont « qualifiantes ». Elles reflètent la fonction d’un dieu par inversion. Ainsi le dieu manchot est-il le dieu désormais désarmé des batailles.

Mercredi

Óðinn « Fureur » gouverne le mercredi. C’est le chef du panthéon scandinave. Il a donc des affinités avec Jupiter, chef des dieux romains. Et pourtant, il remplace Mercure, un des fils de Jupiter.

Plaque de casque en bronze de Vendel censée représenter Óðinn, illustration d’Oscar Montelius (1843-1921) pour Om lifvet i Sverige under hednatiden, Stockholm (1905). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

Pour Tacite, le dieu Romain Mercure était l’homologue du Germain Wodanaz, devenu Óðinn en vieux norrois. Tous deux ont, entre autres fonctions, de conduire l’âme des morts… et d’être un peu voleurs. Mercure (de merx « marchandise ») était aussi le dieu du commerce. Wodanaz / Óðinn menait la ronde des dieux et Jupiter s’habillait en Þórr : la foudre est un puissant détonateur commun.

Dieu borgne, Óðinn est, par conséquent, un voyant : un magicien. Son culte semble avoir pris l’ascendant aux alentours du ve siècle. C’est le dieu des poètes, le « chanteur » de victoire et le dieu des guerriers. Il n'est donc pas étonnant qu’il ait été le dieu le plus chanté dans l’élite guerrière et les halles royales.

Jeudi

Þórr « Tonnerre », chef du jeudi, est le fils d’Óðinn, officiellement. Homologue du Donar ou Doner germanique, il correspond au Jupiter romain. Ou au héros Hercule – on n’en sait trop rien.

Þórr est le plus fort des dieux (physiquement) et un dieu du ciel. Il a d’ailleurs lancé au ciel une paire d’yeux et un orteil pour en faire des étoiles. Il a donc une connivence avec les astres.

Vendredi

Frigg « Bien-aimée », épouse d’Óðinn, célèbre Frjádagr (de frjá « aimer »). Frigg est nettement moins active dans les mythes que Freyja, sa consœur vane. La proximité de leur nom permet une ambiguïté bien pratique. On attribue d’ailleurs parfois le vendredi à Freyja.

Vendredi était le jour alloué à la Vénus romaine. C’était le jour des mariages pour les Scandinaves.

Samedi

Ruines du temple de Saturne du Forum romain. Il contenait le trésor de l’État (ma photo)

Le samedi est une anomalie. L’anglais se fournit chez les dieux romains et embauche Saturne. Dieu romain autochtone et archaïque, Saturne régnait sur l’agriculture, l’abondance, la richesse et la régénérescence. Les Saturnales le fêtaient en décembre. Il est assimilé au titan grec Kronos et confondu très tôt à Chronos, dieu du temps ET tourneur du zodiaque. Saturne, dévoreur de ses enfants, assimilé à la mélancolie, vire en Satan au Moyen Âge.

Le français invoque le repos du septième jour de la création – autrement dit, des tentations.

Le samedi norrois devient « jour-du-bain » (de laug « bain ») ! Il passe à une activité a priori triviale. En fait, cette baignade est aussi hygiénique que rituelle. Les Finlandais ne manquaient pas le sauna du samedi et de la veille des jours de fête jusqu’au xixe siècle (au moins). Air, feu et eau s’y combinent. Au xiiie siècle déjà, un commentateur tel John de Wallingford ↗ affirmait que les Scandinaves établis en Angleterre avaient la fâcheuse manie « de se peigner tous les jours, de se baigner tous les samedis et de changer souvent de vêtement ».

Pour Jacob Grimm ↗, laugar serait une altération-camouflage de Loki. L’allitération fournit un petit indice. Loki possède effectivement deux tenues de plongée (saumon et phoque). Ce dieu-caméléon, indispensable au panthéon et pourtant voué à le perdre, serait un candidat idéal pour Saturne, mais…

Saturne est associé à la rune þurs dans un manuscrit du poème runique islandais. Celle-ci à son tour est associée à Þórr (THURSday anglais). Cela étant, les érudits islandais ont assimilé Saturne au dieu Njórðr. Njörðr est le dieu du ciel des vanes, tandis que Þórr est celui des ases. Loki, lié au ciel (il a les noms de Leiptr « Éclair » et Loptr « Air »), reste un candidat acceptable. Njörðr, qui habite le Clos-naval, en bord de mer, l’est tout autant.

La fin de semaine

Si l’on récapitule, la semaine scandinave est composée de :

Les jours de la semaine norroise semblent une transposition des dieux romains. Celle-ci est conditionnée par l’interpretatio germanica. Certes, mais il n’y a peut-être pas que ça.

Essai d’interprétation

Les Scandinaves étaient des maîtres du langage. Ils jouaient souvent sur la multiplicité des sens. La complexité de leur poésie le prouve. Pour moi, leur semaine cache donc une énigme.

Premier groupe

Le premier groupe renvoie à trois dieux et à une déesse. Cette configuration rappelle les trois dieux du temple d’Uppsala en Suède (Óðinn, Þórr et Freyr). Une halle-de-la-dise (dísarsalr) le complétait. Elle était sûrement vouée à Freyja, Dise-des-vanes.

Les jours de la semaine remplacent Freyr par l’ase Týr. Je pense donc que la déesse est, de même, une ase : Frigg est la meilleure candidate.

Si quatre ases régentent la semaine, les trois jours restants pourraient être dévolus aux vanes.

Second groupe

Le second groupe renvoie au soleil, à la lune et au bain. Il a l’air hétéroclite. Sa triade pourrait pourtant s’appuyer sur celle de Sól, Máni et leur père (le ciel).

Le samedi est le jour de Saturne dans la semaine anglaise. Celui-ci est l’homologue de Njörðr (dieu du vent ET de la mer). La triade que Njörðr forme avec Freyr et Freyja a une structure identique à celle des astres luminaires et de leur père. Cela sans compter que les noms-valises de Freyr « Seigneur » et Freyja « Dame » se prêtent à de multiples interprétations.

Pour moi, le second groupe est donc dévolu aux trois dieux vanes. Il est le socle de la semaine. Il pourrait même avoir été celui des mythes nordiques, à en croire César


Notes

[1] Héraclide du Pont ↗ (ive siècle avant notre ère) est apparemment le premier à supputer que la Terre tourne sur elle-même (un pas énorme en la matière). À partir de là, on peut en déduire que les étoiles sont fixes (malgré la perception qu’on en a)… Mais il y a quelques exceptions. Ce sont ce que les astronomes grecs appelaient les étoiles errantes, c’est-à-dire les « planètes ». On n’émit et n’admit l’idée qu’elles tournaient autour du soleil que bien plus tard.

[2] Le premier évêque d’Hólar (Islande), Jón Ögmundsson ↗ (xiie siècle) voulait éradiquer tout vestige du paganisme. Il changea donc les noms de la semaines associés aux dieux païens (1107). Le jour d’Óðinn devint le « jour du milieu de la semaine » (miðvikudagr). Le jour de Týr se changea en þriðjudagur « troisième jour » ; celui de Þórr, en fimmtudagur « cinquième jour ». Vendredi devint le föstudagur « jour du jeûne ». Samedi, dimanche et lundi (les jours sans dieux) ont gardé leur nom.

Ce sont toujours les jours de la semaine islandaise  Mais un siècle après l’évêque tâtillon, les Eddas (etc.) ont contrarié ses plans.