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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Frigg

Première dame d’Ásgarðr
Frigg filant les nuages (1909), illustration de John Charles Dollman (1851-1934) pour Myths of the Norsemen from the Eddas and Sagas [p. 42] d’Hélène Adeline Guerber, Harrap, London (1909). Source : Wikimedia commons ↗

La déesse ase Frigg « Bien-aimée » est la première dame d’Ásgarðr. C’est l’épouse d’Óðinn et la mère de Baldr. Pas moins. Snorri dit d’elle (Skáldskaparmál, chap. 19) :

Comment peut-on appeler Frigg ? L’appeler, par exemple, fille de Fjörgynn, femme d’Óðinn, mère de Baldr, rivale de Jörð et Rindr, Gunnlöð et Gríðr, belle-mère de Nanna, reine des ases et ásynjur, de Fulla, de la forme de faucon et des Fensalir.

Frigg des Fensalir est la fille de Fjörgynn et la maîtresse de Fulla. Elle concentre autour d’elle la rune « richesse » (lettre F), première rune du fuþark.

On ne sait rien de Fjörgynn, son père, mais la mère de Þórr a pour surnom Fjörgyn. Tout porte donc à croire que ces parents sont des parèdres [1]. Un lien quelconque est suggéré entre Frigg et Þórr.

Le domicile de Frigg

Frigg habite Fensalir « Halles-du-marais ». Son domaine est absent de l’inventaire immobilier des dieux (Grímnismál, str. 4 à 17). Snorri ajoute pourtant (Gylfaginning, chap. 35) :

Frigg est la plus éminente [des déesses]. Elle a ce domaine illustre qui s’appelle Fensalir.

Fensalir est aussi illustre que mystérieux. Cette contradiction cache peut-être un secret capable d’ébranler l’ordre mythique. En tout cas, Fensalir est aussi humide que les demeures des déesses Sága et Iðunn et de la norne Urðr.

Les suivantes de Frigg

Frigg a quatre suivantes :

Ces quatre suivantes sont de plausibles facettes (ou hypostases [2]) de Frigg. Celle-ci aurait ainsi :

La déesse Iðunn a un coffret de frêne (essence de l’arbre du monde) pour ranger ses pommes. La géante Sinmara « Jument-pâle » en a un autre pour ranger le Rameau-de-dommages. Nul ne sait ce que contient celui de Frigg. De même, rares sont les souliers évoqués dans les mythes, sauf la chaussure de Víðarr et les chaussures de Loki, pour marcher sur l’eau et l’air (Skáldskaparmál, chap. 35). Tous ont leur utilité. Ceux de Frigg n’ont pas de rôle précis (méfiance de rigueur). Le cheval galope sur l’eau et l’air et dispose d’un pedigree, tel Sleipnir, le cheval d’Óðinn.

Frigg et Freyja

Frigg et Freyja ont des noms allitératifs – proches même. L’une est mariée à Óðinn ; l’autre, à Óðr. Les deux possèdent (et sont les seules à posséder) un plumage de faucon. Elles le prêtent parfois à Loki. Le faucon est le seul attribut personnel (et officiel) de Frigg.

Frigg est moins présente sur la scène mythique que Freyja. Elle ne voyage pas (sa messagère la remplace). Son rôle est moins « flamboyant ». Frigg serait l’épouse et la mère tandis que Freyja serait l’amante du panthéon. Bref, Frigg serait la femme idéale d’une société patriarcale. Sauf que les faits démontrent le contraire. Frigg n’a rien de l’épouse sage et soumise. Elle tient tête à son mari, le dupe (Grímnismál, prologue) et le trompe (Ynglinga saga, chap. 3), si nécessaire. En cela, elle est plus puissante que Freyja.

Des pouvoirs extraordinaires

L’épouse d’Óðinn, le Père-de-tous, est une mère de tous – sauf de nom (Gylfaginning, chap. 9) :

Sa femme se nommait Frigg, fille de Fjörgvinn, et d’eux provient cette lignée qu’on appelle les familles des ases, qui habitaient l’ancien Ásgarðr et ces royaumes leur appartenant, et qui sont toutes de nature divine.

Le pouvoir de Frigg, bien que voilé, est presque illimité : sur une simple demande, elle fait lui obéir toute la création pour protéger Baldr de tout danger. Elle peut même transiger avec la dame de la mort pour qu’elle lui rende ce fils unique sous condition. De plus, le Destin n’a aucun secret pour elle, bien qu’elle ne le dévoile pas, déclare Freyja (Lokasenna, str. 29). Snorri confirme (Gylfaginning, chap. 20) :

Mais Frigg est sa femme, et elle connaît le destin des hommes, bien qu’elle n’en dise rien.

Frigg s’apparente donc aux nornes ou aux völur, sans en être une. Cela dit, les magiciennes prophétisaient sur un tertre, ou une plateforme… Et Frigg est la seule personne autorisée à s’asseoir sur le Hliðskjálf, le haut-siège d’Óðinn qui permet de voir dans tous les mondes.

Bref, Frigg n’est pas pour rien l’épouse d’Óðinn et est beaucoup plus qu’il n’y paraît.

La quenouille de Frigg

Le propre des prophétesses (völur) est de posséder un bâton (völr). Frigg n’en a pas. C’est peut-être la raison pour laquelle elle ne prophétise pas. Frigg aurait pourtant été nantie d’une quenouille. Du moins, la culture populaire atteste d’une constellation appelée Friggjarrokkr « Quenouille-de-Frigg » [3]. Il se pourrait donc que Frigg ait eu un bâton – ou du moins une quenouille – dans sa jeunesse.

Une quenouille est un long bâton de bois. Elle se termine souvent par une sorte de panier ou de cage d’osier contenant les fibres à filer. Grosso modo, elle ressemble à une plante à bulbe – magique par excellence pour les Vikings. C’est aussi la forme exacte des bâtons de fer attribuées à des völur humaines déterrées par les archéologues. Le tissage est le rayon des valkyries, tisserandes de batailles (Darraðarljóð). Le filage serait celui des Grandes Nornes, surprises à torsader l’arbre du monde (Helgaskviða Hudinsbana I, str. 3). Frigg, d’origine mystérieuse, et les nornes auraient donc des points communs. Leur domicile respectif est d’ailleurs aussi humide l’un que l’autre. L’humidité, presque indispensable pour travailler le lin, caractérisait justement la salle de tissage (dyngja).

Le faucon de Frigg

Frigg possède un costume de faucon pour ses voyages aériens. Comme Freyja. Elle n’a jamais été vue avec, mais le prête au moins une fois à Loki. Celui-ci le porte quand il flâne jusqu’au Geirröðargarðr « Enclos-de-Geirröðr » chez le géant Geirröðr. Il est capturé par le géant et enfermé trois mois dans un coffre sans manger, car il refuse de se présenter. Loki est plus conciliant à sa sortie d’hibernation forcée. Il accepte de ramener Þórr sans sa panoplie au géant (Skáldskaparmál, chap. 18). Þórr se rend donc avec Loki chez Geirröðr. Il fait escale chez la géante Gríðr avant d’arriver à destination. Celle-ci lui prête son bâton magique – jamais revu depuis.

… Je persiste donc à penser que Frigg rangeait son matériel de filage (quenouille et fuseau) dans son coffre. Telle les dames d’Oseberg


Notes

[1] Un ou une parèdre (du grec páredros « être assis près de ») est le consort de sexe opposé d’une divinité, ou sa forme de sexe opposé.

[2] Une hypostase substitue à une divinité une chose, un animal, ou une personne, qui en incarne les principes fondamentaux.

[3] Jacob Grimm ↗, Mythologie teutonique, vol. I, 1835. Ce nom, a priori postérieur aux Vikings, est absent des textes mythiques. Grimm identifie cette quenouille au Baudrier d’Orion. Le grand quadrilatère d’Orion lui servirait alors de coffret. Je ne partage pas cette hypothèse.