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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Helgi ou la naissance du sacré

Les trois nornes filent devant un arbre, illustration d’Arthur Rackham
Les trois nornes, illustration d’Arthur Rackham (1867-1939) pour Siegfried and the Twilight of the Gods de Richard Wagner, William Heinemann, London (1911). Source : domaine public, via Wikimedia commons

La naissance du sacré (helgi) est décrite dans un poème… sous couvert d’un héros nommé Helgi. Ce sacré s’étendrait d’est en ouest (donc chez les Germains), mais la sœur de Neri (peut-être de nara « s’attarder ») l’aurait fixé au nord pour toujours (donc chez les Scandinaves). C’est du moins mon interprétation [1] (Helgakviða Hundingsbana I) :

  1. Dans les temps anciens,
    Quand les aigles trompetaient,
    Que les eaux sacrées tombaient
    Des Montagnes-du-ciel,
    Alors naquit Helgi
    Au grand-cœur ;
    Borghildr l’enfanta
    À Brálundr.
  2. La Nuit tomba sur la ferme ;
    Les nornes arrivèrent
    Qui, du prince,
    La vie réglèrent.
    Elles établirent qu’un roi
    Renommé il serait
    Et, des princes,
    Le mieux aimé.
  3. Avec force, elles tordirent
    Les fils-du-Destin,
    Quand il brisa les forts
    Dans Brálundr ;
    Elles préparèrent
    Les cordes d’or
    Et les nouèrent au milieu
    De la salle-de-la-Lune [2].
  4. À l’est et à l’ouest
    Elles cachèrent les bouts ;
    Le prince avait
    La terre au milieu.
    La sœur de Neri,
    Au nord,
    Noua une corde
    Qu’elle fixa pour toujours.

Le Sacré est né à Brálundr, littéralement au « Bosquet-des-cils ». Brálundr rappelle que la palissade du Miðgarðr « Enclos-du-milieu » (terre des humains et des dieux) a été érigée avec les (sour)cils d’Ymir, le géant primordial (bien que les cils évoquent aussi le dieu Baldr).

Des aigles tapageurs célèbrent la naissance du héros. L’eau ruisselle des montagnes du ciel, comme au premier matin du monde décrit par la völva après le Ragnarök (Völuspá, str. 59). Les cris des aigles et le bruit de l’eau y ajoutent une effervescence festive. L’eau mêle la rosée du matin à la fonte des glaces du printemps, telle des larmes de joie (Brálundr est le « Bosquet-des-cils »).

Le nom de Borghildr « Bataille-du fort » (?) suggère une valkyrie (Hildr est le nom de l’une d’elles). Elle offrira une corne à boire mortelle à son beau-fils tandis que les valkyries offrent une corne aux guerriers-occis.

Les trois Grandes Nornes gouvernent le Destin (l’une d’elles est aussi une valkyrie). Elles se sont déplacées elles-mêmes pour assister la naissance du Sacré.

Helgi détruit les forts du Miðgarðr. Pour moi, il impose de nouvelles croyances, pour peu que ces forts soient des temples.

La torsade d’or des Nornes

Les Nornes filent [3] le destin du monde de trois fils. Cette torsade accrochée au milieu du ciel boréal et qui s’étend d’est en ouest ne peut être que l’arbre du monde à trois racines. Chaque racine devient alors un fil tenu par chacune des Grandes Nornes qui lient l’espace (est, ouest, nord) au temps (passé, présent, futur [4]). Le sud est absent (enfin… jusqu’à la conversion chrétienne évidemment).

Du ciel au Danemark

Les poètes vikings surfaient sur l’ambigu pour nous emporter dans l’espace du doute et des possibles – dans une autre dimension. Helgi vogue entre le mythe et l’Histoire. Brálundr ne représente pas seulement le Miðgarðr, mais le Danemark (où sont construits les premiers forts scandinaves). Les terres que Helgi reçoit de son père en cadeau de naissance jouent encore de cette équivoque (Helgakviða Hundingsbana I) :

  1. Il donna nom à Helgi,
    Et le Lieu-de-l’anneau,
    Les Monts-ensoleillés, les Monts-enneigés
    Et les Plaines-des-cordes [5]
    Le Bourg-de-l’anneau, le Haut-Clos
    Et les Champs-célestes,
    Un serpent-de-sang [6] décoré
    Au frère de Sinfjötli.

Le nom de certaines terres renvoient à des villes danoises :

Et pourtant, chaque nom de lieu (des kenningar) renvoie immanquablement au ciel.

Le Sacré est né sur terre, mais possède désormais des propriétés au ciel. C’est (à mon avis) ce changement radical des croyances que les nornes sont venues décréter.


Notes

[1] Il en est au moins une autre, car la route est-ouest est celle du soleil et de la lune.

[2] Kenningr : du ciel.

[3] La torsade est caractéristique du travail de la filandière.

[4] Les trois Grandes Nornes incarnent respectivement le passé (Urðr), le présent (Verðandi) et le futur (Skuld).

[5] Hypothétique. Sigarr, que j’ai traduit par « cordes » (de sig « corde ») est un roi danois selon Saxo Grammaticus ↗. Son nom revient dans deux autres noms de lieu : Sigarhólmr (str. 8) et Sigarsvellir (str. 35) du poème Helgakviða Hjörðvarssonar.

[6] Kenningr : « épée ».