Accès direct au contenu
Accès direct au contenu
Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Introduction aux poèmes mythiques

La forme la plus authentique, sinon la plus ancienne, de la mythologie scandinave (telle que nous la connaissons)

Snorri Sturluson, illustration en noir et blanc de Christian Krohg
L’arbre d’Yggdrasill, illustration de William Gershom Collingwood (1854-1932) pour la page de titre de The Elder or Poetic Edda, Commonly Known as Sæmund’s Edda d’Olive Bray, The Viking Club, King’s Weighhouse rooms, London (1908). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

La poésie norroise est strophique. Elle a deux grands genres, différents dans le fond et la forme :

La poésie scaldique

La poésie scaldique est (presque) toujours attribuée ou attribuable à un poète, appelé skáld « scalde ». Le premier scalde connu est le norvégien Bragi le Vieux Boddason (début du ixe siècle), père putatif des kenningar. Certains scaldes étaient si réputés que des sagas leur furent consacrées [1].

Grosso modo, la poésie scaldique est une poésie de cour. La plupart des scaldes ont au reste été listés en fonction des rois et jarlar qu’ils servaient dans le Skáldatal (xiiie siècle). Leur rôle était avant tout historiographique. Ils célébraient leur patron et ses exploits et faisaient, le cas échéant, sa nécrologie.

La poésie scaldique est descriptive et sa métrique est sophistiquée. Le scalde a la maîtrise de l’œil (il ne dit à peu près que ce qu’il voit) et de l’oreille (il le dit selon des règles de sonorité contraignantes et complexes). Il maîtrise sans nul doute aussi la voix. La poésie scaldique était orale, même si on ne sait pas trop comment elle était interprétée. Elle n’est connue que grâce à des citations dans des textes en prose (en général) ultérieurs, tels les sagas, les traités de grammaire, ou l’Edda en prose de Snorri Sturluson.

La poésie scaldique fait un usage immodéré des kenningar. Celles-ci substituent un mot à un ou à des autres. Ce faisant, elle crée un réseau d’images imbriquées les unes dans les autres. Cette espèce de kaléidoscope d’images verbales repose sur des références culturelles communes, souvent mythiques. Connaître ces références est un préalable indispensable à la compréhension des kenningar. En somme, la poésie scaldique est énigmatique, intellectuelle et élitiste.

Les mythes n’inspirent la poésie scaldique qu’indirectement (description d’un objet orné d’un motif mythique ; emploi des kenningar). Et pourtant, les fragments scaldiques donnent peut-être une idée plus juste, une vision plus païenne des mythes… mais bien plus compliquée à comprendre et à traduire.

Parmi les poèmes évoquant les mythes, on peut citer :

L’Edda poétique et la poésie eddique

L’Edda poétique est un recueil de poèmes mythologiques scandinaves. C’est même le seul recueil de ce type. Il a été compilé en Islande dans la seconde moitié du xiiie siècle.

L’Edda poétique contient la plupart des poèmes mythologiques connus, divisés en deux parties :

Il n’en existe qu’un manuscrit sur parchemin – on comprendra qu’il est inestimable. Celui-ci est découvert au xviie siècle en Islande, alors danoise, et expédié au roi du Danemark. Il y prend le nom de Codex Regius « Livre du roi ». Il est restitué à l’Islande, à nouveau souverraine, en 1971. En bateau, comme il se doit pour ce chef-d’œuvre des Vikings.

L’Edda est un recueil anonyme de poèmes composés par différents auteurs anonymes à des dates indéterminées. Les experts s’accordent toutefois à dater la plupart de ces poèmes entre les ixe et xiie siècles. Cette période couvre la période viking (et la toute fin du paganisme) et la prolonge d’un siècle. Ces poèmes sont souvent négligés par le public étranger. Celui-ci lui préfère l’Edda en prose de Snorri Sturluson, plus facile à lire – au moins en surface.

C’est a priori le compilateur qui a parsemé certains poèmes de brefs passages en prose (en particulier, des prologues et des épilogues). Parfois redondants, voire contradictoires avec les vers, ils ne doivent pas être sous-estimés. En effet, ils leur apportent aussi des précisions, ou une orientation particulière.

Les poèmes mythologiques des autres manuscrits

Des poèmes absents de l’Edda poétique lui sont apparentés par le thème et le style. Ces poèmes dits « eddiques » sont disséminés dans divers manuscrits islandais du xiiie au xve siècle (sinon postérieurs). Ils ont été réunis avec d’autres poèmes sous le titre d’Eddica minora par Andreas Heusler et Wilhelm Ranisch en 1903. La plupart sont repris dans les éditions modernes de l’Edda poétique.

Style et forme

La première grande originalité des poèmes eddiques est leur forme presque toujours au discours direct (dialogue ou monologue) [2]. La voix off de l’auteur s’efface. La seconde est que l’action se déroule en même temps qu’elle est dite. Le souvenir ou la prophétie permettent d’évoquer le passé ou le futur. Le futur prophétique est inéluctable, car rien ne peut l’arrêter une fois prononcé. Telle est la magie de la parole ET du poème.

Deux mètres (relativement) simples et leurs variantes étaient employés, parfois dans le même poème :

L’économie des moyens renforce la puissance évocatrice des poèmes. Le suspense ne jouait pas, puisque les mythes faisaient sans doute partie du bagage de chacun. L’attention du public ne pouvait être captivée que par le moment particulier que la déclamation du poème manifestait, ou le talent du poète.

Liste des poèmes

Poèmes mythiques de l’Edda poétique par ordre d’apparition

Poèmes héroïques de l’Edda poétique par ordre d’apparition

Lais de Helgi

Cycle des Niflungar

Lais de Jörmunrekkr

Autres poèmes eddiques

La traduction

J’ai répertorié dix-huit poèmes eddiques sur les dieux. Voici mes traductions intégrales de treize d’entre eux (pour le moment), en plus de deux traductions partielles. J’ai également traduit partiellement un poème héroïque (Sigrdrífumal). Ces traductions sont établies à partir des textes en vieil islandais (ou vieux norrois occidental), normalisés par les experts.

Traduttore, traditore « Traducteur, traître » (littéralement), ou « Traduire, c’est trahir » (plus élégamment et correctement) est un poncif… mais sans traductions, à moins d’être polyglotte, le monde serait beaucoup plus étroit, voire étriqué.

Traduire en français les poèmes islandais est, dans l’ensemble, assez décevant. La poésie norroise s’appuie sur l’accentuation des syllabes au détriment de leur nombre. Elle repose sur l’allitération tandis que la poésie française se base sur la rime. Le rendu est donc bancal. J’ai opté pour le pis-aller. Ensuite, le caractère mythologique des textes impose souvent une traduction littérale des mots significatifs pour éviter une perte de sens. Enfin, les poètes avaient l’art et la manière d’employer des mots à sens multiples. Ils jouaient en virtuose des synonymes, des paronymes et de la polysémie. Bref, les poèmes sont un jeu de piste. Ou une chasse aux trésors.


Notes

[1] Telles la Saga d’Egill Skala-Grímson, la Saga de Gunnlaugr Langue-de-serpent. ou la Saga de Kormákr (Ögmundarson).

[2] Bertha S. Phillpotts, The Elder Edda & Ancient Scandinavian Drama, Cambridge University Press, 1920.