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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Óðinn

Le tout puissant chef des ases,
dieu de l’élite guerrrière, des poètes et des magiciens, maître des runes et – en bref – (de l’arbre) du monde
Odinn
Odin, illustration de Ludwig Pietsch (1824-1911) pour le Manual of Mythology: Greek and Roman, Norse and Old German, Hindoo and Egyptian Mythology d’Alexander Murray, Asher and Co, London (1874). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

Le dieu Óðinn « Fureur », aux multiples noms, est le chef des ases et le maître d’Ásgarðr « Enclos-de-l’ase », le fort céleste des dieux. C’est l’un des trois grands dieux, avec Freyr et Þórr.

Snorri dit de lui (Gylfaginning, chap. 20) :

Óðinn est le plus éminent et le plus ancien des ases. Il gouverne toutes choses et, aussi grands que soient les autres dieux, ils le servent tous comme des enfants servent un père, mais Frigg est sa femme.

Cette présentation d’Óðinn est plus ambiguë qu’une lecture hâtive pourrait le suggérer (autant s’y habituer). D’abord, Snorri ne fait pas d’Óðinn l’aîné des dieux, mais seulement des ases. Ensuite, il donne à sa femme une position à part et, partant, un pouvoir étendu (supérieur aux autres dieux, mais inférieur ou égal à son époux).

Portrait d’Óðinn

Óðinn se reconnaît facilement : il est borgne. De plus, sa barbe et ses cheveux sont gris. Quand il vagabonde de par les mondes, et en particulier au Miðgarðr « Monde-du-milieu » où vivent les humains, Óðinn porte un manteau bleu et un chapeau à large bord. Quand il se rend à l’assemblée des dieux, il monte Sleipnir « Glissant », son cheval gris à huit jambes. Il quitte rarement sa lance Gungnir « Chancelante ». Il porte un corbeau sur chaque épaule (Huginn « Pensée » et Muninn « Mémoire », littéralement « Souvenir ») et ses deux loups l’escortent (Freki « Glouton » et Geri « Goulu »).

Famille d’Óðinn

Óðinn est le fils du géant Borr « Fils » et le petit-fils de Búri « Père ». Sa mère est Bestla « Aubier (écorce) du tilleul », fille de Bölþorn « Épine-de-malchance », venus d’on ne sait où.

Óðinn et ses frères

Óðinn a deux frères, Vili « Volonté » et « Sanctuaire ». Ensemble, il ont tué Ymir, le géant primordial, et créé le monde de son corps (Gylfaginning, chap. 7). Comme c’était un géant de glace, on peut se demander s’ils ne l’ont pas simplement fait fondre.

La fratrie a aussi créé le premier couple humain, Askr « Frêne » et sa femme, Embla (Gylfaginning, chap. 9). Cette paternité est cependant concurrencée par la triade d’Óðinn, Hœnir et de Loki (Völuspá, str. 17 et 18).

À gauche : La famille d’Óðinn. À droite : Les fils d’Óðinn et de ses co-épouses (amantes)

Óðinn et ses fils

En tant qu’Alföðr, Óðinn est le « Père-de-tous ». Il a aussi quatre fils – plus ou moins – incontestables :

La Valhalle, demeure d’Óðinn

Óðinn habite la Valhöll « Halle des guerriers occis » (francisée en Valhalle), bâtie dans Glaðsheimr « Monde-joyeux ou brillant » (Grímnismál, str. 8 à 10). Il y siège sur le Hliðskjálf, qui lui permet de voir dans tous les mondes. Snorri nous donne une idée de la taille de la halle (Gylfaginning, chap. 2) :

[…] Quand il arriva dans le fort [d’Ásgarðr], il y vit une si haute halle qu’il pouvait à peine voir au-dessus. Son toit était couvert de boucliers d’or en guise de tuiles.

La Valhalle reçoit tous les « guerriers tombés au combat » (valr) d’où elle tire son nom. Et ce, depuis le commencement du monde (Gylfaginning, chap. 38). Ses 540 portes permettent les entrées en masse sans file d’attente. Son plat du jour se compose de la chair bouillie du sanglier Sæhrímnir « Givre ou Suie-de-mer », qui chaque soir redevient entier. Il est arrrosé de l’hydromel qui coule des pis de la chèvre femelle Heiðrún « Rune-brillante », stocké dans la cuve gigantesque qu’elle remplit chaque jour. Chez lui, Óðinn se repaît de peu (Gylfaginning, str. 38) :

Il donne la nourriture de sa table aux deux loups qu’il a, qu’on appelle Geri et Freki. Il n’a besoin d’aucune nourriture : le vin lui est boisson et viande à la fois.

Oui, bon. Le vin est une boisson exotique importée – donc de luxe –, ce qui sied à Óðinn. Pourtant, il y a tout lieu de croire les loups nourris de la chair des guerriers-occis, et leur maître, de leur sang (Grímnismál, str. 19).

Valhalla (1896) par Max Brückner (1836-1919). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

Fonctions d’Óðinn

Óðinn est, par excellence, le dieu de l’ambiguïté. Omnipotent, Snorri le présente comme la somme des douze autres : il est le Père-de-tous. À y regarder de plus près, pourtant, toutes ses compétences divines ont un lien avec la mort.

Óðinn, dieu des magiciens

Óðinn est un magicien. Autrement dit, un savant et un sage. Quand il ne surveille pas les champs de bataille pour remplir sa Valhalle, il part en quête de connaissances. Il ne recule devant rien pour les obtenir. Óðinn est le dieu de la ruse et de la fin qui justifie les moyens. Quand il reste chez lui, il dispose de sa paire de corbeaux-espions et de son haut-siège panoramique pour s’informer.

La description de ses compétences va encore plus loin dans l’Ynglinga saga.

Selon l’interpretatio romana, Óðinn correspond à Mercure. C’est pourquoi il gouverne le mercredi. De fait, il aurait été à l’aise à l'ère – ou en dieu – de l’information et de la communication. Sauf qu’il ne partage guère et élimine plutôt ses concurrents.

Adam de Brême (xie siècle) l’associe à Mars.

Óðinn, dieu des guerriers

C’est à la fois un dieu des guerriers (il est Herjan « Seigneur des armées » et Sigtýr « Dieu-de-la-victoire ») et des morts (il est Valföðr « Père-des-guerriers-occis » et Hangatýr « Dieu-des-pendus »). On lui sacrifiait des hommes par pendaison. De fait, Óðinn a moins un air guerrier que charognard, tel ses corbeaux (il est Hrafnaguð « Dieu-des-corbeaux », ou Hrafnáss « Ase-des-corbeaux ») et ses loups.

Óðinn dispose de trois troupes privées :

Óðinn est un fauteur de guerre. Il s’en vante à Þórr (Hárbárðljóð, str. 24). Il impose à Freyja de lui concocter une guerre éternelle entre rois (Sörla þáttr). Il est déterminé à remplir sa Valhalle en vue du Ragnarök.

Óðinn, dieu de la poésie

Óðinn a volé l’hydromel de poésie aux géants en séduisant sa gardienne (Hávamál, str. 104 à 110). Il l’a transporté dans sa bouche et l’a recraché dans le chaudron Óðrerir « Stimulateur-de-fureur ». Celui-ci se confond à la source de la Mémoire (Mímir), au pied d’Yggdrasill. Le breuvage magique irrigue donc l’arbre du monde. Il procure l’inspiration poétique, la fureur guerrière et érotique. On ne sait pas si ces trois ingrédients faisaient le Viking idéal, mais ils faisaient presque sûrement un adepte d’Óðinn.

Óðinn a offert la poésie aux dieux et aux humains. Il maîtrise donc l’éloquence. Il le prouve en vainquant le géant Vafþrúðnir dans une joute oratoire (Vafþrúðnismál)… quitte à tricher. Il vainc aussi Þórr dans une autre (Hárbárdljóð). En revanche, il n’a pas le dernier mot avec une völva défunte (Baldrs draumar).

Óðinn, maître des runes

Óðinn est maître des runes (donc de l’écrit), mais aussi de la Mémoire (Mímir), dont il a conservé la tête. Il les a obtenues en se sacrifiant à lui-même. Il s’est pendu neuf nuits à l’arbre du monde (Hávamál, str. 138 à 145). De là, il a ramassé les runes dans la source de Mímir. En se faisant le cavalier d’Yggdrasill « Coursier-du-Terrible », il est devenu le maître du monde (il est Yggr « [le] Terrible »).

Ásgarðr brûle au Crépuscule des dieux. Ragnarök, illustration de Karl Emil Doepler (1855-1922) pour Wallhall, die Götterwelt des Germanen [p. 57] de Wilhelm Ranisch, Martin Oldenbourg, Berlin (1905). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

La mort d’Óðinn

S’il fait régner la terreur (il est le Terrible), Óðinn est pourtant voué à l’échec. Il existe, en effet, un adversaire – un seul – qu’il ne peut conquérir : le Destin. Óðinn est mortel et, de ce fait, il ne peut lui échapper – malgré tous ses pouvoirs. Il ne peut que reculer l’échéance. Et prévoir d’être vengé.

Le Destin, incarné par les Grandes Nornes, est dévolu aux femmes. Il est inaccessible, même à Óðinn. Pour le contrer, il a tout tenté. Il n’hésite pas à y engager sa virilité. Il apprend ainsi une magie féminine (le seiðr), réprouvée pour les hommes, et sait même se changer en femme. En vain.

Le loup Fenrir le dévore au Ragnarök. Il fait partie des trois monstres mythiques, avec Hel et le serpent. Ces trois enfants de Loki sont réunis dans la femme-tröll. Pour moi, celle-ci est in fine le seul être capable de vaincre Óðinn, y compris d’outre-tombe.


Notes

[1] D’Évhéméros, un auteur grec qui considérait que les dieux étaient des humains progressivement divinisés.

[2] Blár a les sens de « bleu, livide » et « noir ».

[3] Régis Boyer (1992).

[4] Le mot díar est particulièrement ambigu (entre « dieu » et « prêtre »).