Þórr (Thor)
Þórr (dérivé de) « Tonnerre » est le dieu ase de l’orage. Le plus fort des dieux est le protecteur du genre humain et le champion des dieux contre les géants. Il fait partie des trois grands dieux avec Óðinn et Freyr.
Famille de Þórr
Þórr est officiellement le fils d’Óðinn et de Jörð « Terre ».
Snorri mentionne Þórr pour la première fois juste après la création du monde et des humains. D’abord, Óðinn et ses frères créèrent le monde de la carcasse du géant primordial, Ymir. Puis, ils firent le premier couple humain (Gylfaginning, chap. 9 ; Völuspá, str. 17), qu’ils logèrent au Miðgarðr « Enclos-du-milieu ». Ils firent enfin l’Ásgarðr « Enclos-de-l’ase », pour les dieux et les alfes, au milieu du monde. Óðinn y possède le Hlíðskjálf. Frigg est sa femme et les ases sont leurs enfants. Snorri ajoute alors au sujet d’Óðinn (Gylfaginning, chap. 9) :
La Terre était sa fille et sa femme. D’elle, il fit le premier fils, et c’était Ása-Þórr. Celui-ci est investi d’une vigueur et d’une force physique naturelles. Aussi vainquait-il toutes les créatures.
Une chose est sûre : Ása-Þórr « Þórr-des-ases » n’est pas le fils de Frigg, mais de Jörð. Frigg a quand même un lien ténu avec Þórr : Fjörgynn (ou Fjörgvinnr) est le nom de son père ; Fjörgyn (un seul n), un autre nom de Jörð dans les poèmes.
Þórr est le mari de Sif, listée parmi les noms de la… terre (Þulur). Þórr est donc le fils ET le mari de la terre.
Þórr a une fille, Þrúðr « Force » et deux fils, Magni « Fort » et Móði « Colérique ». Magni a pour mère la géante Járnsaxa « Dague-de-fer, une des Neuf Mères (de Heimdallr). Ullr, le fils de Sif, est son beau-fils.
La famille de Þórr est listée dans les kenningar courantes pour le nommer. Ses parents adoptifs n’ont pas laissé d’autres traces, sauf dans ses surnoms de Vingþórr et Hlórriði (Skáldskaparmál, chap. 4) :
Comment doit-on désigner Þórr ?
En l’appelant donc fils d’Óðinn et de Jörð, père de Magni et Móði et de Þrúðr, mari de Sif, beau-père d’Ullr, gouverneur et possesseur de Mjöllnir et de la ceinture-de-force, de Bilskirnir, défenseur d’Ásgarðr, du Miðgarðr, ennemi et mort des géants et des femmes-trölls, tueur de Hrungnir, Geirröðr, Þrívaldi, maître de Þjálfi et Röskva, ennemi du serpent-du-Miðgarðr, fils adoptif de Vingnir et Hlóra.
Maison de Þórr
Snorri dit de lui (Gylfaginning, chap. 21) :
Gangleri demanda alors : « Quels sont les noms des autres ases, et qu’ont-ils fait, ou quels actes fameux ont-ils accompli ? »
Hár dit : « Þórr est le plus remarquable. Il est appelé Ása-Þórr ou Öku-Þórr. C’est le plus fort de tous les dieux. Il a en ce lieu un royaume appelé Þrúðvangar, mais sa halle s’appelle Bilskirnir. Cette halle a cinq cent et quarante travées. C’est la plus grande maison connue des hommes, ainsi qu’il est dit dans les Dits de Grimnir (str. 24).
La force définit Þórr. Sa propriété de Þrúðheimr « Maison ou Monde-de-la-force », ou Þrúðvang(a)r « Champ(s)-de-force », est bien nommée.
Bilskirnir, la halle de Þórr
La halle de Þórr s’appelle Bilskirnir. Le sens de son nom n’est pas sûr. En revanche, on ne peut manquer d’y voir le nom de Bil, une déesse associée à Sól « Soleil ». Cela d’autant plus que Þrúðheimr et Þrúðvangar contiennent le nom de Þrúðr, la fille de Þórr. Bil est aussi une fillette enlevée de la Terre avec son frère par Máni « Lune », le frère de Sól. Or, Þórr a lui aussi pris deux enfants du Miðgarðr à leurs parents :
- Une fillette appelée Röskva (de röskvast « mûrir, croître ») ;
- Son frère, Þjálfi, devenu l’écuyer ou équipier de Þórr.
Le nombre phénoménal de pièces ou travées de Bilskirnir a donné lieu à des calculs savants. J’y vois surtout le nombre neuf (5 + 4), magique par excellence. Ce nombre établit un parallèle avec la Valhalle, demeure d’Óðinn aux cinq cent quarante portes (Grímnismál, str. 23 et 24).
Outils de Þórr
Snorri continue son inventaire des possessions de Þórr (Gylfaginning, chap. 21) :
Þórr a deux boucs, qui ont pour nom Tanngnjóstr et Tanngrisnir, en plus d’un chariot qu’il conduit et que les boucs tirent. C’est pourquoi il est appelé Öku-Þórr. Il a aussi trois objets précieux. L’un d’eux est le marteau Mjöllnir, que reconnaissent les géants-du-givre et les géants-des-montagnes quand il le brandit, ce qui n’a rien de surprenant. Il a fracassé nombre de crânes parmi leurs pères ou parents. Un autre trésor qu’il a, qui est admirable , est la ceinture-de-force, et quand il la sangle autour de lui, alors sa force-d’ase croît de moitié. Le troisième objet qu’il possède a une grande valeur. Ce sont les gants-de-fer. Il ne pourrait tenir le manche du marteau sans eux. Maintenant, personne n’est assez averti pour dire tous ses hauts faits. Et pourtant, je peux te conter tant de ses prouesses que bien du temps passerait avant que ne soit dit tout ce que je sais.
Son chariot
Þórr se déplace souvent à pied et traverse les fleuves à gué. Le reste du temps, il prend son chariot, d’où son surnomm d’Öku-Þórr « Þórr-le-conducteur (de chariot) ».
Þórr conduit son chariot pour traverser le Miðgarðr et se rendre chez les géants. Il l’attelle à ses deux boucs, Tanngrísnir et Tanngnjóstr (« Grince-de-la dent » et « Crisse-de-la-dent »). En général, il le gare chez un fermier et continue sa route à pied. Celle-ci le mène invariablement chez les géants. Ses déplacements en chariot produisent les roulements du tonnerre.
À l’occasion, il fait de ses boucs un dîner au fumet sacrificiel. Il les ressuscite au matin d’une tape amicale de son marteau sur leurs os étalés sur leur peau. Ressusciter les morts est une tâche de femmes (valkyrie, en particulier). Que Þórr ait cette faculté – même réduite à ses boucs – est exceptionnel.
Ses « armes »
Þórr possède trois objets inestimables :
- Le marteau Mjöl(l)nir « Concasseur » ;
- Les gants de fer Járngreipr « Forte-Poigne-de-fer » ;
- La ceinture Megingjörð « Ceinture-de-pouvoir ».
Ils ont en commun de lui servir d’armes sans être des armes à proprement parler.
Les gants (ou plutôt, les moufles) de fer permettent de tenir le marteau incandescent. Autrement dit, le marteau représente la foudre. En tout cas, Þórr ne peut s’en passer pour tenir son manche. Noter que Járngreipr contient le nom de la géante Greip, une (autre) des Neuf Mères (de Heimdallr) – telle Járnsaxa, l’amante de Þórr.
Gants et ceinture n’ont pas d’origine certifiée. Ils font peut-être partie des dons « innés » de Þórr, ou des présents de la géante Gríðr.
Le dieu de l’orage et la fertilité
La force de Þórr est celle incontrôlable de l’orage. Son caractère violent cache la régulation que l’orage exerce sur les saisons. L’orage tempère la chaleur de l’été et le froid de l’hiver.
Þórr est le gardien de l’ordre cosmique parce qu’il tue les géants, mais aussi parce qu’il régule les saisons. Cette mission en fait un dieu de la fertilité-fécondité, même s’il a été supplanté dans ce rôle par les dieux vanes (seuls autres détenteurs de chariots). Pourtant, le domaine d’expertise de Þórr s’étend toujours aux deux pôles de la fertilité-fécondité :
- les mariages ;
- les funérailles
qu’il consacre avec son marteau foudroyant.
Le rôle majeur de Þórr a été réduit à protéger dieux et humains des géants, ou de tout agent perturbateur. Il en a fait un guerrier ase. Pourtant, quelques traces subsistent de son lien avec les vanes, ou les alfes. L’unique prestation de la servante du vane Freyr, par exemple, est d’annoncer son arrivée tonitruante au banquet des dieux (Lokasenna, str. 55).
Exploits de Þórr
Parmi ses innombrables exploits, Þórr a vaincu en duel (le plus souvent) et tué les géants :
- Geirröðr et ses deux filles Greip et Gjálp (Skáldskaparmál, chap. 18).
- Hrungnir, contre lequel il disputa son premier duel (Skáldskaparmál, chap. 17). Il reçut une blessure au front lors du combat. Son fils Magni le délivra du pied du géant mort tombé sur lui. Þórr le récompensa en lui donnant le cheval du géant gagné en butin.
- Hymir, auquel il a pris son chaudron gigantesque après une partie de pêche mouvementée au serpent du Miðgarðr (Gylfaginning, chap. 48 ; Hymiskviða).
- Þjazi, qu’il aurait tué (Hárbarðljóð, str. 19). Il lui aurait aussi rendu hommage en lançant ses yeux au ciel pour en faire deux étoiles. Toutefois, ces exploits sont revendiqués par d’autres et Þórr n’apparaît dans aucun des récits du mythe.
- Þrymr, qui lui avait volé son marteau (Þrymskviða). Une ballade reprend fidèlement le poème.
Les scaldes Vetrlidi (xe siècle) et Þorbjörn le Scalde-de-la-dame (xie siècle) ajoutent des géants et géantes (parfois inconnus) à son palmarès (Skáldskaparmál, chap. 4) :
Il [Þórr] est appelé ici le géant du gué de Vimur. Un fleuve a pour nom Vimur que Þórr franchit à gué quand il se rendit à l’Enclos-de-Geirröðr. Et le scalde Vetrlidi dit donc :
Tu as brisé les os de Leikn,
Démoli Þrivaldi,
Flanqué à terre Starkaðr ;
Tu as piétiné le corps de Gjálp.
Et dit donc Þorbjörn le Scalde-de la-dame :
Tu as fracassé le crâne de Keila ;
Tu as mis en pièces Kjallandi ;
Tu a tué Lútr et Leiði avant ;
Tu as versé le sang de Buseyra ;
Tu as entravé Hengjankjapta ;
Hyrrokkin périt avant ;
Plus tôt, pourtant, fut aussi
Svívör, privé de vie.
Þórr est si occupé qu’il est souvent absent d'Ásgarðr. Il va chasser des trölls à l’est. Qu’à cela ne tienne : il suffit de prononcer son nom pour qu’il rapplique illico et vienne à la rescousse des ases.
Contre-exploits de Þórr
Le géant ÚtgardaLoki
Son équipe (le dieu Loki, Þjálfi et sa sœur Röskva) et lui ont été ridiculisés par le géant magicien ÚtgardaLoki « Loki-du-dehors », aussi appelé Skrýmir (Gylfaginning, chap. 45 à 47). Le grand Þórr passe d’abord deux sales nuits dans une forêt en se rendant chez lui :
- La première, il dort dans le gant de Skrýmir (ÚtgardaLoki déguisé), qu’il a pris, dans le noir, pour une halle abandonnée. Il y veille toute la nuit à cause des ronflements du géant endormi. Il les a pris pour des tremblements de terre.
- La seconde, il est incapable d’ouvrir son sac à provisions fermé par le géant. Quand, de colère, il le frappe, il croit son marteau émoussé. En tout cas, le géant endormi ressent à peine les trois coups portés.
Skrýmir quitte Þórr et ses compagnons (sans Röskva) à l’orée du bois. Fatigué et affamé, Þórr arrive ensuite à la porte close de la halle gigantesque d’ÚtgardaLoki. Il doit se glisser entre ses barreaux pour entrer. Là, il perd les trois épreuves du concours de triathlon qu’ÚtgardaLoki lui impose :
- Il est incapable de vider une corne à boire (dont le bout trempe subrepticement dans la mer) ;
- Il est incapable de soulever plus d’une patte du chat d’ÚtgardaLoki (qui cache le serpent du Miðgarðr) ;
- Il met un genou à terre dans un match de catch contre la nourrice d’ÚtgardaLoki… appelée Elli, la « Vieillesse » incarnée.
ÚtgardaLoki accompagne ses invités jusqu’à sa porte le lendemain. Il avoue à Þórr les illusions qu’il a utilisées pour le vaincre… et disparaît avant de recevoir le coup de marteau que Þórr lui assène.
Le batelier Hárbarðr
Hárbarðr « Grise-Barbe », un batelier impertinent, refuse à Þórr le passage sur son bateau. Il faut dire qu’il est protégé par la largeur d’un détroit. Et qu’Óðinn se cache sous son déguisement (Hárbarðljóð).
Les étranges alliés de Þórr
Þórr partage plusieurs aventures avec Loki. Nul ne sait d’où leur vient cette familiarité. Il lui arrive aussi d’emmener son écuyer Þjálfi avec lui. Þórr l’a enrôlé pour avoir causé la boiterie d’un de ses boucs (Gylfaginning chap. 44). Noter que Loki est aussi accusé du méfait. Le dieu Týr l’accompagne une fois (chez son père, le géant Hymir).
Þórr est – curieusement – intime avec des völur, et même très intime avec une femme-tröll :
- Gríðr lui confie non seulement son gant de fer et sa ceinture de force, mais aussi son bâton magique. Celui-ci fait ipso facto de Þórr un magicien (au moins temporaire).
- Gróa a ses entrées chez lui. Elle le soigne (assez mal) de sa blessure au front reçue dans son duel contre le géant Hrungnir.
- Járnsaxa « Dague-de-fer » est la mère de son fils, Magni. C’est aussi l’une des Neuf Mères de Heimdallr – telles Greip et Gjálp que Þórr a tuées. C’est enfin une femme-tröll (Þulur). Bref, on ne sait trop comment une relation a pu exister entre eux.
Toutes les autres völur sont mortes et enterrées dans les mythes. Ces dames ont donc un caractère archaïque et font de Þórr un dieu archaïque. L’ennemi personnel de Þórr est d’ailleurs la plus archaïque des créatures mythiques : le serpent du Miðgarðr. Ils s’entretuent au Ragnarök.
Notes
[1] Cette place n’est, toutefois, pas (tout à fait) significative. Les trois dieux représentés sur les pierres gravées de l’époque viking ont toujours cet ordre-là. Cela dit, Þórr n’y est jamais assis.
[2] Vita Bonifacii, citée par Jacob Grimm ↗, Mythologie teutonique (1835).
[3] Il est le premier ase, le premier fils d’Óðinn, etc.
[4] Selon le scalde islandais Egill Skala-Grímson (xe siècle), cité dans Egils saga, chap. 57.
[6] Lotte Motz, The Germanic Thunderweapon, dans Saga Book of the Viking Society, vol. 24, 1997.