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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Les (autres) animaux mythiques

Bovidés placides et majestueux à Lejre, ancienne capitale royale danoise (ma photo). Ils ressemblent à des Highlands, mais ce sont plutôt des aurochs de Heck (élevés à Lejre) à la taille impressionnante. Ces vaches rappellent, en tout cas, leurs ancêtres : les aurochs sauvages.

Les animaux cornus

Horn veut dire « corne » ET « bois (de cervidé) ». Il y a pourtant une différence essentielle entre les deux : les bois tombent chaque année – pas les cornes. Le renouvellement annuel des bois (dont les Vikings faisaient des peignes, etc.) est un symbole de régénérescence.

Cerf d’une pierre historiée de Hellvi, île de Gotland (Suède) datée entre 600 et 800 (dessin d’après ma photo)

Le cerf

Il y a cinq cerfs mythiques. Une harde de quatre cerfs est séparée d’un cerf solitaire comme les doigts de la main le sont du pouce.

Les cerfs se nourrissent des feuilles de l’arbre du monde. Toutefois, la harde sévit sur Yggdrasill tandis que la cerf solitaire se repaît du Læraðr, l’arbre de la Valhalle (Grímnismál). La bande des quatre d’Yggdrasill est remplacée par un seul cerf dans le même texte. Cette contradiction tend à faire du Læraðr un autre nom d’Yggdrasill. Elle pourrait aussi être la trace d’un cerf mythique disparu et remplacé par quatre de ses congénères.

Des cerfs sont déjà gravés dans la roche en Suède et au sud de la Norvège à l’âge du bronze. Leur symbolique y dépasse (très) largement le cadre de la chasse (même rituelle). Ses bois représenteraient les rais solaires selon les archéologues (Anne-Sophie Hygen).

Eikþyrnir

Le cerf Eikþyrnir « Épine-du-chêne » broute Læraðr, l’arbre de la Valhalle. L’eau qui s’écoule de ses bois alimente Hvergelmir, une source d’Yggdrasill (Grímnismál, str. 26). Cette eau céleste alimente tous les fleuves mythiques. Si Læraðr n’est pas un autre nom d’Yggdrasill, c’est un arbre du monde alternatif.

Un chêne apparaît dans deux mythes :

  • Le géant Skrýmir endormi sous un chêne s’attire les « foudres » de Þórr, ou plutôt ses coups de marteau (Gylfaginning, chap. 45).
  • Le géant Þjazi en plumage d’aigle est perché sur un chêne quand il s’attire la colère de Loki (Skáldskaparmál, chap. 1). Il entraîne Loki, alias Leiptr « Éclair », avec lui dans le ciel.

Ces deux mythes associent le chêne à l’orage. Dans ces conditions, la nature de l’épine du chêne est (à mon avis) moins botanique que météorologique : c’est sans doute celle de l’éclair, avant-coureur de la pluie que l’orage déclenche (souvent). Bref, ce cerf est lié à la fertilité-fécondité ET au ciel.

Le cerf et la chèvre

Eikþyrnir est le compagnon de la chèvre Heiðrún. Tous deux se nourrissent au même arbre. Si le cerf fournit l’eau du monde, la chèvre (femelle) fournit l’hydromel à la Valhalle. Or, son nom renvoie à Sól « Soleil », la rune la plus brillante du fuþark. C’est pourquoi les bois du cerf représenteraient plutôt, et pour moi, des rais lunaires. Que le cerf soit un mâle aux bois doubles comme des cornes de lune renforcent cette idée.

Que le cerf et la chèvre forment un couple (ou une fratrie) archaïque est laissé en suspens.

Dáinn, Dvalinn, Duneyrr et Duraþrór

Une harde de quatre cerfs broute les plus hautes frondaisons d’Yggdrasill, la tête penchée en arrière dans la position caractéristique du brame (Grímnismál, str. 33).

Dáin « Décédé » et Dvalinn « Différé » sont simples à traduire. Les deux autres noms, en plus d’être des kenningar, sont moins clairs.

Plusieurs théories circulent sur cette harde. Pour Finnur Magnússon ↗ (1824), les cerfs incarnent les quatre vents : deux calmes (Dáinn et Dvalinn) et deux violents (Duneyrr et Duraþrór). In fine, les cerfs matérialiseraient les quatre directions. Les points cardinaux sont incarnés par quatre nains casqués (appelés Nord et Sud ; Est et Ouest). Dáinn et Dvalinn sont justement des noms de nains. Cela étant, l’aspect lunaire que je suppose aux cerfs disparaîtrait, ainsi que leur rapport à l’eau.

Ces quatre cerfs sont réunis en un seul (Grímnismál, str. 35).

La chèvre

Heiðrún, la chèvre de la Valhalle

Heiðrún « Rune-brillante » est une chèvre femelle. Elle se nourrit au Læraðr, comme le cerf Eikþyrnir. Elle alimente de ses quatre pis une cuve en hydromel qui ne peut tarir. Cet hydromel nourrit tous les einherjar, la troupe des occis cantonnée à la Valhalle.

La rune la plus brillante du fuþark est Sól « Soleil ». Heiðrún est donc une incarnation du soleil. Ses pis (rayons solaires) remplissent une cuve qui ne peut tarir (la mer probable). Noter que Freyja est comparée à Heiðrún par une völva (Hyndluljóð, str. 46 et 47).

La chèvre solaire est la partenaire du cerf lunaire ou céleste. Elle l’est aussi du sanglier Sæhrímnir, qui nourrit les occupants de la Valhalle.

L’autre chèvre mythique femelle n’a pas de nom. On peut donc supposer qu’il sagit de Heiðrún. Loki se lie littéralement à elle pour faire rire la géante Skaði.

Tanngrísnir et Tanngnjóstr, les boucs de Þórr

Le chariot de Þórr est attelé à deux boucs (mâles de la chèvre), Tanngrísnir « Grince-de-la-dent » et Tanngnjóstr « Crisse-de-la-dent ». Ils servent aussi de dîner sacrificiel d’appoint à leur maître en voyage. Þórr les ressuscite d’une tape de son marteau sur leurs os posés sur leur peau avant le matin (le lever du soleil ?). En cela, ses boucs ressemblent au sanglier Sæhrímir de la Valhalle.

Un des boucs boite. Þjalfi (ou Loki) lui a brisé l’os d’une patte en suçant la moelle avec trop de gourmandise. Si Þórr les ressuscite sans aucun problème, encore faut-il que leurs os soient intacts !

Þórr a failli mourir écrasé par les deux filles du géant Geirröðr dans la « maison des chèvres ». Nul ne sait d’où ses boucs proviennent…

La vache

Plusieurs taureaux ou bœufs sont signalés dans les mythes, tels Himinhrjótr, le bœuf noir du géant Hymir. Þórr casse ses cornes, le tue et utilise sa tête pour appâter le serpent du Miðgarðr (Gylfaginning, chap. 48). Le bovin majeur reste une vache.

Auðumbla, la vache primordiale

La vache primordiale Auðumla est l’unique représentante de son espèce de la mythologie. Elle naît du givre fondu duquel sort le géant primordial Ymir. Elle le nourrit des quatre fleuves qui coulent de ses quatre pis. Elle met aussi au monde le grand-père d’Óðinn, Búri « Père » (probable ajout de Snorri). Pour ce faire, elle lèche des blocs de glace salée d’où il sort en trois jours. Ymir et Búri sont donc frères de « lait ».

Le nom d’Auðumbla, à orthographe variable (Auðumla, Auðhumla) n’aide pas à sa traduction et encore moins à son interprétation. Il signifierait « Richesse-sans-cornes ».

Le mouton (bélier)

Le mouton est aussi présent que précieux pour sa laine et sa viande (sacrificielle) en Scandinavie et en Islande. Il est pourtant quasi absent des mythes. La seule exception est le bélier.

Heimdali, alias Heimdallr

Heimdalli est un nom du bélier (Þulur) et un surnom de Heimdallr. Il n’y a pourtant aucun bélier dans les parages de Heimdallr.

Le sanglier

Le sanglier est un symbole de fertilité-fécondité, mais AUSSI un emblème guerrier. Il est particulièrement dédié à Freyr et à Freyja. Il est loué pour sa force et, de fait, Freyr est athlétique puisqu’il peut tuer d’un coup de poing.

À défaut de cornes, le sanglier a des dents – ou plutôt des défenses (ou broches). C’est justement sa première dent qui acquit en cadeau le Monde-des-alfes à Freyr (Grímnismál, str. 5). C’est, néanmoins, avec un bois de cerf que celui-ci se bat contre un géant.

Hildisvíni

Hildisvíni « Pourceau-de-bataille », que monte Freyja, est créé par les nains Nabbi et Dvalinn. Ce dernier est aussi le nom d’un des quatre cerfs d’Yggdrasill. Ainsi le cerf a, en quelque sorte, créé le sanglier.

Gullinborsti

Gullinborsti « Soies-d’or » est aussi appelé Slíðrugtanni « Sanglier-aux-broches-effrayantes ». Création des nains Brokkr et Eitri, il sert de monture à Freyr. Il court dans les airs et sur les flots (comme les chevaux mythiques), et éclaire la nuit de ses soies d’or.

Sæhrímnir

Sæhrímnir « Givre ou Suie-de-mer » est le sanglier qui nourrit l’armée défunte des einherjar « Combattants-solitaires » (Grímnismál, str. 18). Cette troupe d’Óðinn est cantonnée à la Valhalle. Sæhrímnir n’a qu’un usage alimentaire et ressuscite le lendemain. Noter que les deux boucs de Þórr, ont la même faculté.

Sæhrímnir est inséparable du chaudron Eldhrímnir « Givre ou Suie-du-feu » et du cuistot Andhrímnir « Givre ou Suie-de-l’air » (de and, önd « souffle »). La triade renvoie aux trois éléments : mer (sær), feu (eldr) et air (and). Andhrímnir est aussi le nom d’un aigle et corrobore cette dernière traduction.

Chat bâillant assis sur un toit

Le chat

Le chat est quasi absent des mythes. Les gants d’une völva sont en peau de chat dans une saga (Saga d’Eiríkr le Rouge, chap. 2). Un chat est gravé sur le chariot découvert dans la tombe de la dame d’Oseberg. Þórr ne peut soulever un chat dans une de ses aventures, mais le félin cache le serpent du Miðgarðr (Gylfaginning, chap. 46). C’est à peu près tout, à part les chats de Freyja.

Les chats de Freyja

Le chariot de Freyja est tiré par une paire de chats sans nom. Ces chats sont seulement mentionnés par Snorri. Or, le mot fressa « matous » que Snorri emploie signifie aussi « ours ».

L’ours

Force est de constater l’absence quasi totale de l’ours dans les mythes scandinaves. Son absence se fait d’autant plus sentir que les Germains comme les Saames le vénéraient. Qu’il hiverne – comme le serpent – n’est pas une raison.

L’ours apparaît plus ou moins dans les mythes scandinaves dans :

  • Les berserkir (sing. berserkr) « chemises-d’ours ». Ces guerriers d’Óðinn ne craignent ni feu ni fer et mordent leur bouclier dans leur fureur guerrière. Ils se battent nus, ou recouverts d’une peau d’ours. Ils pratiquent le chamanisme et finissent leur carrière littéraire en ours-garous.
  • Le nom de Björn « Ours », attribué à Þórr (aussi surnommé Þórbjörn) et à Óðinn.
  • L’ourse tuée par le chasseur alfe Völundr. Il fait de sa peau une carpette sur laquelle il s’endort (Völundarskviða, str. 10 et 11).

L’ours est cependant à l’honneur dans la Saga de Hrólfr kraki.

Écureuil dans l’herbe

L'écureuil Ratatöskr

L’écureuil Ratatöskr « Dent ou Défense-exploratrice » est le seul de son espèce de toute la mythologie. Il loge sur Yggdrasill. Son rôle de messager resserre le lien entre l’aigle et le serpent installés à chaque bout (de l’arbre) du monde (Grímnismál, str. 32). Snorri ajoute que les propos échangés sont loin d'être cordiaux (Gylfaginning, chap. 16). Il fait de l’aigle et du serpent des ennemis inconciliables entre lesquels circule l’écureuil, qui transmet et aiguise leur discorde.

La navette incessante de l’écureuil en fait le meilleur connaisseur de l’arbre du monde. Ce petit animal, vif et malin, très (très) agile, n’a pas d’autre rôle. C’est, cependant, le premier nommé des locataires d’Yggdrasill. Il est vrai qu’il va de l’aigle au serpent, c’est-à-dire du ciel aux profondeurs de la terre, ou de la mer. Bref, il va partout.

Rati

Ratatöskr devient l’instrument d’Óðinn sous le nom de Rati « Explorateur », une espèce de chignole. Celle-ci lui fraye un passage à travers la paroi d’une montagne caverneuse. Or donc, selon Snorri, Óðinn y entre en serpent et en ressort aigle (un hasard est à écarter). Rati est donc une forme de Ratatöskr au caractère corrosif.

L’attention sur la dent rongeuse de Ratatöskr oriente alors vers une dent mythique tout aussi unique : celle du dieu Freyr, qui reçut l’Álfheimr en cadeau quand elle poussa… et qui avait sûrement la forme dangereuse d’une broche de sanglier. On peut donc dire que sa dent ouvrit l’Álfheimr à Freyr. Rati, quant à lui, gagna l’hydromel de poésie à Óðinn.

L’écureuil est à peine visible dans le décor mythique et la luxuriance de l’arbre du monde. On n’y prête guère attention. Et pourtant, son nom de Ratatöskr, commence et finit à peu près comme… Ragnarök.