Freyja
Le nom de la déesse Freyja « Dame » n’est en lui-même qu’un titre social – et un nom-valise pratique. Freyja est née dans la famille divine des vanes. C’est la sœur de Freyr et la fille de Njörðr. Elle est adoptée par les ases on ne sait trop comment. C’est même l’une des deux plus grandes déesses ases (avec Frigg). Freyja est surtout la superstar des femmes mythiques, car elle cumule les emplois :
- déesse ase (ásynja) ;
- seule déesse vane ;
- dise, en tant que Vanadís « Dise-des-vanes » ;
- première des valkyries ;
- prêtresse-sacrificatrice (blótgylgja).
Freyja, déesse de l’amour
Freyja est l’Ástaguð « Déesse-ase-de-l’amour » (Skáldskaparmál, chap. 20). En tant que telle, elle soutient les amoureux qui requièrent son aide et apprécie les chants d’amour. Elle a couché avec tous les dieux et les alfes du banquet des dieux (Lokasenna, str. 30). Elle a même fréquenté des nains pour obtenir un collier (Sörla þáttr, chap. 1). C’est aussi la déesse la plus convoitée par les géants (Þrymskviða, str. 9 ; Gylfaginning, chap. 42), auxquels elle ne cède jamais.
Freyja, la magicienne
Freyja est la prêtresse-sacrificatrice (blótgyðja) des vanes. Elle enseigne la magie du seiðr aux ases après leur guerre contre les vanes (Ynglinga saga, chap. 4) :
La fille de Njörðr était Freyja, elle était prêtresse-sacrificatrice et elle enseigna la première aux ases le seiðr, qui était coutumier des vanes.
Dans un monde où tout est signe et tout fait sens, la magie est omniprésente. Le seiðr est le sommet (sulfureux) de l’art.
Le seiðr, les chants d’amour, l’inceste entre frère et sœur émanent des vanes. Tous concernent la sexualité (de près ou de loin). Tous étaient dénigrés, ou furent interdits – y compris les chants d’amour, trop malléables à la magie noire.
La maison de Freyja
Snorri introduit Freyja et son frère en présentant leur père. Il dit les deux enfants « beaux et éminents ». Quand il décrit Freyja, il valorise sa fonction guerrière, évoque son domicile et son chariot (Gylfaginning, chap. 24) :
Mais Freyja est la plus glorieuse des déesses ases. Elle a ce domaine au ciel qu’on nomme Fólkvangr et, quand elle chevauche au combat, elle a alors la moitié des guerriers occis, mais Óðinn a l’autre moitié. […]
Sa halle, Sessrúmnir, est vaste et belle. Quand elle voyage, elle est assise sur un chariot tiré par ses deux chats.
Que Freyja reçoive des guerriers-occis renvoie à son rôle de première des valkyries. Elle s’y connaît en guerre car Óðinn lui commanda une guerre éternelle quand il était son amant (Sörla þáttr, chap. 2). Son domaine s’appelle d’ailleurs Fólkvangr, qu’on peut traduire par « Champ-de-l’armée », ou « Prairie-du-peuple ».
Sa halle est Sessrúmnir « Espace-des-sièges ». Or, Sessrúmnir est AUSSI le nom d’un navire (Þulur). On peut se demander si sa halle n’est pas ce navire, comme d’autres indices le suggèrent :
- Les nornes comme les déesses Frigg, Sága ou Iðunn vivent dans des lieux humides.
- Njörðr vit au Clos-naval et Freyr a un navire.
- Le rúmna de Sessrúmnir a le sens général d’« espace », en particulier d’« espace pour une paire de rameurs sur un bateau » (les navires vikings n’avaient pas de bancs de nage fixes, sauf les navires de guerre).
Le domaine de Freyja est au ciel, mais un reflet dans l’eau a vite fait de le ramener sur terre. Par ailleurs, Freyr est le seul des grands dieux à ne pas recevoir de morts. Freyja le remplace. Qu’elle stocke son contingent chez elle irait de soi. Tout comme il irait de soi qu’un bateau les contienne. Après tout, les bateaux mythiques sont le navire funéraire de Baldr et celui des morts ordinaires (le Naglfar)… en plus du navire (de guerre ?) de Freyr.
Les animaux de Freyja
Tous les animaux de Freyja servent à ses déplacements :
- ses deux chats tirent son chariot ;
- elle monte à l’occasion son sanglier, Hildisvíni « Pourceau-de-bataille » ;
- elle a un valshamr « forme ou corps de faucon » pour ses voyages aériens, que Loki emprunte souvent.
Freyja est la seule déité associée à autant (d’espèces) d’animaux… à part Óðinn et Loki. Ces animaux pourraient rappeler les alliés du « vol magique » du chaman dans le monde des esprits. En tout cas, Freyja, Óðinn et Loki pratiquent tous le seiðr…imprégné de chamanisme.
Le mari et la fille de Freyja
Snorri dit encore de Freyja (Gylfaginning, chap. 35)
Freyja est la plus estimable [des déesses] avec Frigg. Elle est mariée à un homme appelé Óðr. Leur fille s’appelle Hnoss. Celle-ci est si belle que tout ce qui est beau et précieux est appelé hnossir. Óðr partait en des voyages lointains, mais Freyja le pleurait et ses larmes sont d’or rouge. Freyja avait de nombreux noms, mais la cause en est qu’elle se donnait des noms variés quand elle voyageait chez des peuples étrangers à la recherche d’Óðr. Elle s’appelle Mardöll et Hörn, Gefn, Sýr. Freyja possédait le Collier des Brísingar. Elle est appelée Vanadís.
Freyja est mariée à Óðr « Fureur » (même racine étymologique qu’Óðinn). Ce mari a pour spécifité d’être TOUJOURS absent. Il est censé partir en voyage. Freyja verse des larmes d’or rouge, avant de le poursuivre.
Le couple a une fille : Hnoss « Joyau ».
Les noms de voyage de Freyja
Freyja porte diverses identités quand elle poursuit Óðr :
- Vanadís « Dise-des-vanes » ;
- Mardöll « Lumière-de-la-mer » ;
- Hörn, dérivé de hörr « Lin » ;
- Gefn « Généreuse » ;
- Sýr « Truie ».
Le collier de Freyja
Freyja est la détentrice du Brísingamen « Collier-des-Brísingar » – le Collier-de(s)-Flammes. Son collier fut volé par Loki sur l’ordre d’Óðinn, porté par Þórr lors d’une aventure rocambolesque et même cassé de colère par sa propriétaire.
Snorri récapitule (Skáldskaparmál, chap. 20) :
Comment peut-on désigner Freyja ? En l’appelant ainsi : fille de Njörðr, sœur de Freyr, femme d’Óðr, mère de Hnóss, propriétaire des guerriers-tombés et de Sessrúmnir, et des matous, du collier-des-Brísingar, déesse-des-vanes, dise-des-vanes, déesse aux belles-larmes, déesse-de-l’amour. Ainsi peut-on désigner de la sorte toutes les déesses ases, en les appelant du nom d’une autre, et les désigner par leurs possessions, leurs actions, ou leur famille.
Comparaisons
Ces renseignements permettent d’émettre certaines hypothèses sur Freyja. Au lieu de s’annuler, celles-ci pourraient exposer différentes facettes de sa personnalité, ou différentes strates de son évolution. Elles pourraient révéler quelques-uns de ses secrets.
Freyja et le soleil
- La fille de Freyja. Hnoss « Joyau » a pour sœur Gersimi « Trésor » (seulement mentionnée sans l’Ynglinga saga, chap. 13). Si quelques déesses n’ont pas d’enfant, AUCUNE autre n’a qu’une fille (ou des filles). Seul le soleil (féminin) partage cette singularité.
- Le soleil est incarné par Álfröðull « Orbe-de-l’alfe ». Il meurt en mettant sa fille au monde (au Ragnarök). Sa fille, identique à elle-même, le remplace alors.
- Le chariot de Freyja. Freyja possède un chariot, comme Freyr, le soleil (Sól) – peut-être la lune (Máni) – et le ciel orageux (Þórr). Il semble donc que conduire un chariot mythique implique une corrélation avec le ciel ou les astres.
- Le collier de Freyja. Le soleil est accessoirement appelé fagrgrim « belle-gemme ». À défaut d’être un Joyau (tel sa fille), Freyja en possède un.
- Freyja, appelée Mardöll « Lumière-de-la-mer ». Freyr, maître de l’Álfheimr, se plaint qu’Álfröðull ne brille pas pour lui (Skírnismál, str. 4). En résulte son union avec la géante Gerðr. Il a dû renoncer, au préalable, à Freyja, sa sœur incestueuse en devenant ase. Bref, sa nouvelle femme remplace Freyja. Gerðr est la fille du géant de la mer et Freyja est celle d’un dieu de la mer. Toutes deux pourraient donc être des incarnations du soleil… qui sort chaque matin de la mer pour y rentrer le soir en traversant la ligne d’horizon. Entre temps, il baigne les flots de ses rayons.
Sa fille, son chariot et son collier suggèrent fortement que Freyja a un lien avec le soleil. Ou l’a eu pour modèle.
Freyja et Hel
Le soleil se couche sous l’horizon pendant la nuit et l’hiver polaire. Apparemment, Freyja se calfeutre chez Hel pendant l’hiver.
Loki est ainsi frigorifié quand il se faufile dans la chambre (presque) hermétique où Freyja dort. Il est venu chiper son collier (Sörla þáttr, chap. 2). Si le collier est la ligne d’horizon, son vol ramène ipso facto Freyja au-dessus de l’horizon. Du moins, il enlève toute barrière entre l’au-dessus et l’en-dessous. Loki laisse quand même la porte de la chambre ouverte. On peut supposer qu’elle se trouve à l’est – porte d’entrée du soleil.
Freyja et Óðinn
Freyja se présente comme la contrepartie féminine d’Óðinn à bien des égards. Au reste, Snorri la dit « aussi noble que Frigg (l’épouse d’Óðinn) », malgré son ascendance vane. De plus, elle est l’épouse d’Óðr, à défaut d’Óðinn.
- Freyja reçoit le premier contingent des guerriers occis. Normal, c’est la première valkyrie (sans qu’on sache pourquoi).
- Les valkyries sont les vierges d’Óðinn (Óðins meyjar), tandis que Freyja serait la vierge d’Óðr (Óðr mey). Freyja n’a pas grand chose des signes extérieurs de la valkyrie (cheval et corbeau). Cela dit, elle a un sanglier et un plumage de faucon. De plus, elle fomente des guerres à volonté. Bref, Freyja a un caractère guerrier, dont les hommes de sa famille sont dénués.
- Óðinn stocke sa moitié de guerriers occis chez lui. Freyja devrait donc stocker les siens dans sa halle de Sessrúmnir. Que celle-ci soit aussi le nom d’un navire (Þulur) suggère qu’elle se substitue à Skíðblaðnir, le navire de Freyr, en tant que résidence des morts (noter l’allitération entre halle et navire). Les deux autres navires mythiques sont celui des morts (amarré dans le monde originel du feu), ou le navire funéraire du dieu Baldr (destiné à brûler avec lui et à le conduire chez Hel).
- Des trois grands dieux (Óðinn, Þórr et Freyr) le frère de Freyja est le seul à ne pas recevoir de morts. Freyja le remplace. En cela, elle se rapproche aussi de Hel.