Accès direct au contenu
Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Freyr

Dieu de la fertilité… qui envoie son serviteur courtiser sa future femme à sa place
Freyr, gravure d’Edward Ade (1835-1907) d’après Johannes Gehrts (1855-1921) parue dans Walhall : Germanische Götter- und Heldensagen. Für Alt und Jung am deutschen Herd de Felix et Therese Dahn, Breitkopf und Härtel, Leipzig (1901). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

Freyr est l’un des trois grands dieux vikings, avec Óðinn et Þórr. Dieu ase, c’est aussi le chef des dieux vanes.

Portrait de Freyr

Freyr est représenté sur des pierres historiées (telles la pierre de Sanda) avec un objet-attribut. Il est cependant difficile de dire s’il s’agit d’une faucille, ou d’une défense de sanglier.

Snorri dit de lui (Gylfaginning, chap. 24) :

Freyr est le plus remarquable des ases. Il règne sur la pluie et l’éclat du soleil et, de là, sur les fruits de la terre et il est bon de faire appel à lui pour une année fertile et paisible. Il gouverne aussi la prospérité des humains.

Bref, Freyr s’occupe de fertilité-fécondité. Sa statue ithyphallique du temple païen d’Uppsala (Suède), décrite par Adam de Brême ↗ (xie siècle), le prouve. S’il a eu un caractère guerrier, il l’a perdu – plus ou moins. En effet, Freyr a échangé ses attributs guerriers (cheval et épée magique) contre une épouse. Cela ne l’empêche pas de tuer le géant Beli avec un bois de cerf. Il peut même tuer d’un coup de poing, tant il est fort.

Le roi scandinave était élu til árs ok friðar « pour une année fertile et paisible », selon la formule consacrée. Freyr a donc un lien avec le roi, dit Snorri sans en avoir l’air. De fait, il est l’ancêtre de lignées royales.

Snorri relie Freyr – de façon encore plus discrète – à la lune [2]. Le soleil varie en fonction du ciel. Mais sa luminosité et sa chaleur sont fonction des saisons, et même des mois. En d’autres termes, l’éclat du soleil est fonction de la lune. Celle-ci exerce aussi son influence sur la croissance des plantes et la fécondation animale et humaine (en plus des marées).

Le nom de Freyr

Freyr « Seigneur » a pour nom un titre social. Il se fait aussi appeler Ingunar-Freyr et Yngvi-Freyr. Ingunar et Yngvi dériveraient de l’ancien peuple germanique des Ingévons (Ingaevones ou Ingvaeones en latin [3]).

Freyr est le seul dieu à partager son nom avec une dame (Freyja) et un cheval (Freyfaxi « Crinière-de-Freyr »).

Slíðrugtanni, le sanglier de Freyr

Freyr a reçu le Monde-de-l’alfe (Álfheimr) en cadeau de première dent (Grímnismál, str. 5). Comme son attribut est le sanglier, cette canine est plus sûrement la broche (ou défense) d’un sanglier.

L’animal-attribut de Freyr est unique parmi les dieux, dont tous les attributs sont des objets. Il tire son chariot, ou est monté par son maître (Húsdrápa, str. 7). Le sanglier se nomme Gullinbursti « Soies-d’or » ou Slíðrugtanni « Broche-effrayante ». Il a des facultés hors normes (Skáldskaparmál chap. 35) :

[…] Il peut courir sur l’air et l’eau nuit et jour mieux qu’aucun cheval et jamais il n’arrive que l’obscurité de la nuit, ou des mondes ténébreux soit telle qu'il n'ait pas assez de lumière où qu’il aille, tant ses soies sont lumineuses.

À mon avis, le sanglier cache un astre. Celui-ci se déplace, en effet, dans le ciel et se reflète dans l’eau. Il court donc sur l’air et l’eau. Seule la lune est assez puissante pour rester visible nuit et jour. Les soies d’or du sanglier sont donc les rais lunaires. Quant à sa dent recourbée, une corne de lune semble prometteuse.

Skíðblaðnir, le navire de Freyr

Freyr possède le navire Skíðblaðnir « Fourreau-de-nombreuses-feuilles (ou lames) ». Ça tombe bien parce que son père habite à Nóatún « Clos-naval ». Le navire de Freyr est aussi spécial que son sanglier (Gylfaginning, chap. 43) :

Hár dit : « Skíðblaðnir est le meilleur des navires et il est fait avec la plus grande habileté, mais Naglfari est le plus grand, celui qu’a le Muspell. Certains nains, fils d’Ívaldi, ont fait Skíðblaðnir et ont offert le navire à Freyr. Il est si grand que tous les ases peuvent l’occuper avec armes et panoplies. Il a un vent favorable dès qu’il hisse sa voile, où qu’il veuille aller. Mais si on ne veut pas aller en mer avec lui, comme il est fait de nombreux morceaux et avec si grand art, on peut le plier comme un tissu et le mettre dans son sac. »

Avec Skíðblaðnir, on a affaire à une autre énigme. Pour moi, ce navire représente encore la lune. Celle-ci suit une course régulière et rien ne peut entraver sa marche. Elle a donc un vent favorable dès qu’elle se montre dans le ciel (hisse sa voile). Elle semble se plier de nuit en nuit quand elle décroît. Elle semble rangée dans le sac de la Voie lactée quand elle disparaît. Enfin, elle est faite de nombreux morceaux car douze ou treize lunes sont nécessaires pour faire une année solaire.

Que Skíðblaðnir puisse contenir les douze dieux suggèrerait alors que chacun d’eux incarne une des douze lunes… Qu’il les contienne avec toute leur panoplie fait de Skíðblaðnir un navire de guerre.

Le nom de Skíðblaðnir raconte sa propre histoire. Les bordages des navires vikings sont facilement assimilables à des feuilles par leur minceur, ou à des lames par leur coupe en biais. Ils pourraient (à mon avis) expliquer son nom. Or Njörðr vit à Nóatún, qui détive de nór « bateau ». Le nór était un monoxyle – au moins à l’origine [4]. Skíðblaðnir marquerait aussi la révolution technique où le bateau passe d’un tronc évidé à un assemblage de pièces de bois.

Skíðblaðnir est comparé au Naglfar(i) « Navire-d’ongles ou de cadavres », le navire des morts. Cette comparaison souligne que Freyr ne reçoit pas de morts, au contraire d’Óðinn et de Þórr. Sa sœur le remplace.

Freyr en famille

Freyr appartient à la famille divine des vanes. Son père et lui sont envoyés chez les ases pour garantir la paix entre les deux familles après la première guerre du monde. D’abord leurs otages, ils sont ensuite adoptés par les ases.

Freyr est le fils de Njörðr. Sa mère n’est pas connue. C’est que les vanes épousaient leur sœur. Celle de Njörðr n’est qu’esquissée, mais le nom de Njörðr contient celui de Jörð « Terre ». Quoiqu’il en soit, Njörðr épousa l’hivernale Skaði. Celle-ci devint la belle-mère de ses enfants.

Freyr a pour sœur et parèdre Freyja. En tant que vane, il l’aurait épousée avant son adoption par les ases (qui interdirent cette coutume). Freyr aurait alors épousé la géante Gerðr.

L’affaire n’est pas claire, car Njörðr aurait aussi conçu Freyr APRÈS son adoption par les ases (Lokasenna, str. 35). D’un autre côté, Freyr est accompagné de Freyja au banquet des dieux, au lieu de Gerðr. L’absence de celle-ci est d’autant plus remarquable que ce banquet se tient chez son père.

Les serviteurs de Freyr

Freyr a un couple de serviteurs. En cela, il se distingue peu de Þórr et Máni « Lune », qui en ont chacun un aussi (une fratrie). Il en a aussi un troisième :

Freyr et la géante Gerðr

Freyr désire la géante Gerðr aperçue de loin (Skírnismál). C’est la fille de Gymir, alias Ægir, le géant de la mer, et d’Aurboða « (Ap)Porteuse-de-boue ». Le nom de Gerðr signifie « Champ-clôturé » (de gerði), ou « Ferment » (de gerð). Or, l’orge est un aliment ET le ferment de la bière. Gerðr, par son nom et par son père (brasseur des dieux) et Freyr, par son serviteur Byggvir, trempent donc dans la bière. Au reste, leur futur fils, le roi Fjölnir, se noie dans une cuve d’hydromel.

Freyr dépérit sans raison apparente. Skaði s’inquiète et lui envoie Skírnir. Freyr se confie à Skírnir. Il l’envoie conquérir Gerðr pour lui, contre son épée et son cheval. C’est pourtant un cavalier émérite (Lokasenna, str. 37).

Freyr sera donc désarmé au Ragnarök. Il y affrontera le géant Surtr à l’épée de flammes et périra. De plus, sans ses attributs guerriers, le chef vane a désormais besoin des ases pour assurer ses fonctions.

Gerðr, très réticente, finit par accepter de s’unir à Freyr. Elle lui donne rendez-vous dans neuf nuits dans un bosquet calme appelé Barri (str. 39). Barr désigne soit les aiguilles de conifères, soit l’orge. Ce dernier sens me semble de plus de poids.

Notes

[1] Fenja « Marais » (au pluriel) ; Menja « Colliers ».

[2] La lune est masculine dans la langue et les mythes. Le soleil est féminin.

[3] Les Ingévons sont mentionnés dans La Germanie (chap. 2) de Tacite ↗.

[4] Haakon Schetelig et Hjalmar Falk, Scandinavian Archaeology, translated by E.V. Gordon, Oxford at the Clarendon Press, 1937.