Hœnir
Le dieu ase Hœnir n’a ni femme, ni enfants, ni aucun parent connu.
Hœnir est absent de la liste des dieux de la Gylfaginning comme de l’inventaire des domiciles divins (Grímnismál, str. 4 à 17). Il ne participe pas au banquet des dieux chez Ægir (Lokasenna). Et pourtant, c’est l’un des douze juges de l’assemblée des dieux (Skáldskaparmál, chap. 1). C’est surtout (à peu près) le seul dieu de la première génération à survivre au Ragnarök.
Hœnir est présent :
- lors de la création des humains ;
- lors de la rencontre d’Óðinn et de Loki avec le géant Þjazi ;
- lors de la rencontre de ces mêmes dieux avec une famille de nains ;
- après la guerre des dieux ases et vanes, ou première guerre du monde ;
- après le Ragnarök, la guerre des géants et des dieux.
Hœnir et la création des humains
Hœnir fait partie d’une triade occasionnelle. S’il n’y fait souvent qu’acte de présence, il déroge de sa passivité pour offrir l’óðr aux humains (Völuspá, str. 17 et 18). Óðinn, Hœnir et Loðurr (alias Loki) ont créé le premier couple humain dans du bois flotté. Les heureux élus sont Askr « Frêne » (l’homme) et Embla. Noter qu’une version alternative remplace Hœnir et Loki par les deux frères d’Óðinn, Vili « Volonté » et Vé « Sanctuaire » (Gylfaginning, chap. 9).
Óðinn n’offre pas l’óðr aux humains, comme la logique (de son nom) l’aurait voulu. C’est qu’il ne s’agit pas de la « fureur » que procure l’hydromel, mais des « facultés mentales et émotionnelles ». Óðr a les deux sens. Óðinn vient de la « fureur », mais Hœnir offre les « facultés mentales et émotionnelles ». Et pourtant, Hœnir n’est pas franchement réputé pour son esprit ! Tout porte à croire qu’il a subi une « mutilation qualifiante » (à la Georges Dumézil ↗) par la suite – une sorte de lobotomie, dans son cas. Le fait est qu’il a perdu la « Mémoire » (Mímir) après la guerre des vanes et des ases. Il est donc heureux que la création des humains ait déjà eu lieu…
Hœnir, otage des vanes
Hœnir forme une paire avec Mímir. Des otages sont échangés entre ases et vanes pour assurer une paix durable après leur guerre. Les ases Hœnir et Mímir sont échangés contre les vanes Njörðr, Freyr et Kvasir (Ynglinga saga, chap. 4).
La belle prestance de Hœnir en fait d’emblée un chef chez les vanes. Ceux-ci s’aperçoivent vite qu’il est incapable de prendre de décisions sans Mímir. Les vanes se sentent floués et envoient donc la tête de Mímir à Óðinn.
Óðinn embaume la tête et la plonge dans une des sources de l’arbre du monde. Ainsi garde-t-il la mémoire du passé pour son seul usage. Hœnir rentre au bercail des ases.
Noter que Hœnir est incapable de prendre de décision. C’est donc moins son intelligence que sa volonté qui est en cause. En ce cas, il se pourrait que Hœnir SOIT Vili « Volonté », le frère d’Óðinn.
Hœnir, le survivant
Après le Ragnarök, Hœnir choisit une baguette de divination sacrificielle (Völuspá, str. 63). Le vane Njörðr, contre lequel Hœnir a été échangé, était justement le sacrificateur des ases. À défaut de passé, Hœnir connaîtra le futur – ou le fera ?
Les noms de Hœnir
Le nom de Hœnir vient de hani « coq » (hœni « poule »). Cet oiseau est l’éveilleur qui claironne entre nuit et jour, vie et mort, un changement radical. Les coqs mythiques ne sonnent d’ailleurs que le Ragnarök. En somme, Hœnir a un petit air charognard. De fait, tous les oiseaux mâles sont assimilables à l’aigle et au corbeau charognards (Skáldskaparmál, chap; 59).
Surnoms de Hœnir
Hœnir a plusieurs surnoms mystérieux (Skáldskaparmál, chap. 15) :
Comment doit-on désigner Hœnir ? On l’appelle donc compagnon de table ou de voyage, ou confident d’Óðinn, et l’Ase rapide, le Long Pied et Roi-de-la-boue.
Que Hœnir soit le compagnon de table ou de voyage d’Óðinn renvoie à la triade qu’ils forment avec Loki.
L’Ase rapide semble assez facile à comprendre. Il suffit de s’envoler un instant auprès du jeune serviteur de Þórr qui dispute une course à pied. Il la perd pour avoir concouru contre Hugi « Pensée ». La pensée est muette, mais plus rapide que la parole ou l’action. Alors, cet Hœnir passif, mais rapide, qui donne l’óðr aux humains pourrait bien lui être liée. Séparer la pensée (Hœnir) de la mémoire (Mímir) est bel et bien la tronquer (le docteur Alzheimer ne me contredira pas). Cela permet de se débarrasser de souvenirs gênants, de croyances obsolètes, voire de confisquer le savoir. Mímir est donc décapité… et deux corbeaux viennent se percher sur les épaules d’Óðinn : Huginn « Pensée » et Muninn « Souvenir, Mémoire » (allitératifs avec Hœnir ET Mímir).
Cependant, Hœnir n’est pas seulement l’Ase rapide. Il est aussi Long Pied et l’Aurkonungr « Roi-de-la-boue gravillonneuse ». Pour moi, ces trois surnoms désignent… la lune (masculine en vieux norrois) :
- Hœnir est l’Ase-rapide parce que la révolution lunaire est douze fois plus rapide que celle du soleil.
- Il est le Roi-de-le-boue parce que la lune règne par sa taille et sa lumière sur les étoiles de la Voie lactée. Celle-ci ressemble à une longue traînée blanchâtre parsemée des gravillons des étoiles sur le noir de la nuit. Autrement dit, c’est (à mon avis) l’aurr « boue gravilloneuse », dont les nornes arrosent l’arbre du monde.
- La lune se divise en deux moitiés symétriques opposées (lune croissante et décroissante) comme une paire de pieds. Le Long Pied pourrait être le premier quartier de la Lune, qui mène à la pleine lune.
Rien, à ma connaissance, n’explique le nom de Hœnir. Celui-ci n’a aucune femme dans son entourage, à la différence des autres coqs mythiques. Un coq chante l’aurore. Il est donc à rapprocher du soleil (féminin). Ce pourrait être un autre indice du rapport de Hœnir avec la lune.