Accès direct au contenu
Accès direct au contenu
Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Hrungnir, le plus fort des géants

Géant au cœur et à la tête de pierre
qui blessa Þórr en duel

Duel de Þórr avec Hrungnir (1865) de Ludwig Pietsch (1824-1911) pour Die nordischen Göttersagen de Rudolf Friedrich Reusch. Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

Hrungnir est le plus fort des géants. Il a attisé la colère de Þórr en Ásgarðr (domaine des dieux). Un duel a lieu aux Grjótúnagarðar (domaine des géants). Hrungnir est tué, mais blesse Þórr. Le dieu porte la cicatrice de cette blessure depuis.

Il existe deux reportages du duel. Diverses mentions de Hrungnir et des kenningar basées sur son nom témoignent de son importance.

Version poétique du duel de Þórr et Hrungnir

Haustlöng « D’automne-long » est un poème du scalde Þjóðólfr de Hvinir (début xe siècle). Le poème a été préservé dans les Skáldskaparmál de Snorri Sturluson (xiiie siècle). Il décrit des images tirées de deux épisodes mythiques ornant un bouclier offert au poète :

Þórr est en colère. L’orage l’accompagne sur la « route de la Lune » (le ciel nocturne) et met le monde en flammes. Il va en chariot à Grjótún « Clos-de-pierres » (kenningr pour montagne selon Rudolf Simek), chez le géant Hrungnir. Nul ne sait la cause de sa rage dévastatrice.

Le duel du dieu et du géant est bref. Quand le bouclier de Hrungnir tombe sous ses pieds, plus rien ne peut le protéger du marteau de Þórr. Hrungnir tombe, raide mort. Son arme, une pierre à aiguiser, n’a pas résisté au marteau, mais un éclat s’est logé dans le crâne du dieu.

Les incantations de Gefjun-de-la bière soignent la blessure.

Version en prose du duel de Þórr et Hrungnir

Le second reportage est de Snorri Sturluson (Skáldskaparmál, chap. 17). Il s’articule en quatre temps et dans quatre lieux :

  1. visite d’Óðinn au géant Hrungir aux Jötunheimar et leur course hippique ;
  2. apéritif de Hrungnir chez les dieux en Ásgarðr ;
  3. duel de Þórr et Hrungnir aux Grjótúnagarðar ;
  4. retour de Þórr chez lui aux Þrúðvangar, où la völva Gróa le soigne.

Þórr est parti à l’Est chasser des trölls. Pendant ce temps, Óðinn rend visite à Hrungnir aux Jótunheimar. Il n’est pas grimé, contrairement à ses habitudes. Casqué d’or, il monte Sleipnir, son cheval à huit jambes qui galope sur l’eau et l’air. Le géant Hrungnir, d’un naturel emporté (comme Þórr), s’enorgueillit lui-même de posséder un cheval de prix, Gullfaxi. Óðinn le défie de gagner une course contre lui et son cheval.

Hrungnir perd, mais la frénésie de sa course l’a mené aux portes d’Asgarðr. Il y est invité à un cocktail. Þórr absent, il prend sa place et sa corne (à boire). Mais ne tient pas l’alcool. Dans son ivresse, il menace de soulever la Valhalle, de l’emporter chez les géants et d’engloutir l’Asgarðr, après avoir massacré les dieux. Il n’épargnerait que Freyja et Sif, l’épouse de Þórr. Les dieux appellent alors leur champion à la rescousse.

Þórr arrive arme au poing. Il est scandalisé de voir un géant à la table des dieux, en train de siroter dans sa corne. Le géant lui-même le dissuade de l’aplatir net. Il serait déplorable à sa réputation que Þórr attaque un invité désarmé dans un lieu sacré. Au lieu de quoi, Hrungnir lui propose un duel :

Ce serait une meilleure preuve de sa valeur s’il osait se battre avec lui près de la frontière aux Grjótúnagarðar. Ce fut pure sottise, dit-il, « de laisser chez moi mon bouclier et ma pierre à aiguiser. Si j’avais mes armes ici, nous serions alors allés nous battre en duel sur le champ. Mais comme il en va autrement, j’affirme que ce serait une vilenie de vouloir me tuer désarmé ».

L’occasion de participer à son premier duel en bonne et due forme ravit le dieu. Mais les géants manquent d’enthousiasme à la nouvelle et de confiance envers leur champion :

Alors, les géants firent un homme d’argile dans les Grjótúnagarðar. Il avait neuf lieues de haut et trois de large sous les bras, mais ils ne trouvèrent pas de cœur assez grand pour lui aller avant de prendre celui d’une jument. Et celui-ci ne se montra pas à la hauteur quand arriva Þórr. Hrungnir avait ce cœur, qui est fameux, de pierre dure à trois cornes pointues, comme les signes gravés qu’on nomme depuis cœur-de-Hrungnir. De pierre était aussi sa tête. Son bouclier, large et épais, était également en pierre. Et il portait son bouclier devant lui quand il se tint aux Grjótúnagarðar pour attendre Þórr. Et il avait aussi une pierre à aiguiser en guise d’arme. Il la portait sur l’épaule et n’était pas plaisant à voir. À son côté se tenait le géant d’argile, appelé Mökkurkálfi, et il était terrorisé. On dit qu’il urina en voyant Þórr.

Son écuyer, Þjálfi, précède Þórr au rendez-vous. Il conseille à Hrungnir de tenir son bouclier sous ses pieds, car Þórr a prévu d’arriver de sous-terre. La ruse réussit et dénote a priori la stupidité du géant que Þórr va foudroyer. Elle renvoie au poème. C’est quand même une drôle de manière de tenir un bouclier. Seul Ullr l’utilise ainsi… pour traverser la mer. Le géant d’argile, déjà mouillé, est détruit par Þjálfi (Þórr et l’urine sont à nouveau mêlés).

À la suite de quoi il vit des éclairs et entendit d’effroyables fracas de tonnerre. Il vit alors Þórr dans sa rage-d’ase. Il avançait furieusement en brandissant le marteau, qu’il lança de très loin sur Hrungnir. Hrungnir souleva à deux mains la pierre à aiguiser et la lança contre lui. Elle rencontra le marteau en plein vol et la pierre cassa en deux. Un morceau tomba à terre et c’est de là que viennent toutes les pierres à aiguiser. L’autre morceau se brisa sur la tête de Þórr, de sorte que celui-ci tomba en avant sur la terre. Mais le marteau Mjöllnir atteignit Hrungnir en pleine tête et réduisit son crâne en miettes. Il tomba en avant sur Þórr, de telle sorte que sa jambe s’étala en travers du cou du dieu.

Le dieu est vainqueur, mais le combat l’a privé de sa force (déchargé ?). Þjálfi, puis tous les dieux tentent en vain de déplacer la jambe qui l’entrave. Magni, son fils âgé de trois nuits (ou trois hivers), surgit alors de nulle part et le délivre. Sa mère est la géante Járnsaxa. C’est à lui que Þórr offre le cheval du géant :

Þórr se leva alors. Il accueillit chaleureusement son fils et lui dit qu’il deviendrait un homme remarquable. « Et je veux te donner le cheval Crinière-d’or que Hrungnir avait en sa possession ».
Óðinn parla alors et dit que Þórr avait mal agi quand il donna ce bon cheval au fils d’une géante, et pas à son père.

Þórr rentre seul chez lui, aux Þrúðvangar. La völva Gróa l’y retrouve et le soigne. Assez mal, il faut dire. C’est qu’il la distrait en lui annonçant le retour de son mari, Aurvandill :

Þórr rentra chez lui aux Champs-de-force et resta dans sa tête la pierre à aiguiser. Arriva alors la völva appelée Gróa, femme d’Aurvandill le Hardi. Elle chanta ses incantations au-dessus de Þórr pour détacher la pierre. Mais Þórr, en sentant cela, eut l’espoir que la pierre puisse être retirée. Alors, il voulut récompenser Gróa pour sa guérison et, pour la mettre en joie, il lui conta les nouvelles : il avait franchi à gué les Élivágar par le nord et porté Aurvandill sur son dos dans un panier hors des Jötunheimar. Pour preuve, il dit qu’un des orteils d’Aurvandill dépassait du panier et avait gelé, qu’il l’avait cassé et lancé haut dans le ciel et en avait fait l’étoile appelée Orteil-d’Aurvandill. Þórr dit que, sous peu, Aurvandill rentrerait à la maison. Gróa fut si contente qu’elle en oublia les incantations. La pierre ne fut pas détachée et elle est toujours logée dans la tête de Þórr. On est invité à éviter de lancer une pierre à aiguiser à travers une pièce, car alors la pierre remue dans la tête de Þórr.
Les trois cornes entrelacées (en latin triquetra) est un symbole gravé sur la pierre runique danoise de Snoldelev (ixe siècle). C’est un candidat au cœur-de-Hrungnir, qu’il associerait à la bière ou à la mer.
Les trois triangles entrelacés (ou valknut, de son nom moderne) est un autre candidat, quoique moins plausible, au cœur-de-Hrungnir. Il est gravé sur des pierres historiées, telles les pierres de Tängelgårda, ou de Stora Hammar I (Gotland, Suède). Et souvent placé sous un cheval.

Autres mentions de Hrungnir

Plusieurs poèmes et des kenningar rappellent Hrungnir et ce combat, singulier à tous points de vue. Þórr est appelé Hrungnis haussprengir « fendeur-du-crâne de Hrungnir », Hrungnis bane « mort de Hrungnir » désigne son marteau et Hrungnis spjalli « ami de Hrungnir » désigne tout géant. Le scalde Bragi Boddason (ixe siècle) dit ainsi (Skáldskaparmál, chap. 4) :

Et l’affreux anneau du sentier
Du bateau
flanqué de rames,
À l’esprit sévère,
Scruta d’en-dessous
Le fendeur-du-crâne de Hrungnir.

Hrungir est cité dans l’Edda poétique (Lokasenna, str. 61 et 63 ; Harbarðljóð, str. 14 et 15 ; Hymisdkviða, str. 16). Sa force est mise en avant et comparée à celle de Þórr. En revanche, il est à nouveau associé à Þjazi dans un poème eddique (Gröttasongr str. 9).

Bragi Boddason le mentionne à nouveau dans une kenningr (coriace) où il est question de la « lune du logis-de-Hrungnir » (Skáldskaparmál, chap. 53).

La valkyrie Sigrdrífa (Sigrdrífumál, str. 15) évoque un certain Rungnir ou Rögnir, qui pourrait cacher Hrungnir. Celui-ci possédait un chariot, à défaut de cheval.

À suivre…