Hyndluljóð « Le chant de Hyndla »

Freyja interroge la völva Hyndla sur la généalogie de son amant royal métamorphosé en sanglier
Hyndla et Freyja, illustration du Danois Lorenz Frølich (1820-1908), pour Den ældre Eddas gudesange [p. 274] de Karl Gjullerup (1895). Source : domaine public, via Wikimedia commons

Nouvelle traduction intégrale d’un poème du xive sièle
(manuscrit sur vélin Flateyjarbók),
intégré à l’Edda poétique

Lien vers le texte en langue originale heimskringla.no ↗

  1. [Freyja dit:]
    « Éveille-toi, vierge des vierges !
    Éveille-toi, amie mienne !
    Hyndla, ma sœur,
    Qui habites dans la caverne,
    Voici venue la brune des brunes ;
    Nous devons chevaucher de pair
    Jusqu’à la Valhalle,
    Jusqu’au saint sanctuaire. »
  2. Prions Père-des-armées [1]
    De bon cœur rester,
    Lui qui offre et donne
    De l’or aux troupes.
    Il donna à Hermóðr
    Casque et broigne,
    Mais à Sigmundr [2],
    Une épée à prendre.
  3. Il donne victoire à certains,
    Mais de la boue à d’autres ;
    À beaucoup, éloquence ;
    Et aux humains, intelligence ;
    Bons vents, il donne aux héros,
    Mais aux scaldes, excellence ;
    Il donne vaillance
    À maints champions.
  4. À Þórr, elle doit sacrifier,
    Ceci lui demander :
    Qu’envers toi toujours
    Confiance il garde,
    Bien qu’il craigne
    Les fiancées de géants.
  5. À présent, sors de l’écurie
    Un de tes loups ;
    Laisse-le galoper
    Avec mon sanglier. »

    [Hyndla dit:]
    « Lent est ton verrat
    À trotter sur la route des dieux ;
    Mon palefroi précieux,
    Je n’épuiserai pas.
  6. Tu es fourbe, Freyja,
    Qui m’éprouves
    Et fixes mon regard
    Ainsi sur nous,
    Alors que tu mènes ton mari
    Sur la route des occis,
    Le jeune Óttarr,
    Fils d’Innsteinn. »
  7. [Freyja dit:]
    « Tu t’abuses, Hyndla
    – De rêves, m’est avis –
    De dire mon mari
    Sur la route des occis,
    Car c’est mon verrat dont brille
    Les soies d’or,
    Hildisvíni [3],
    Que pour moi firent
    Les deux nains habiles,
    Nabbi et Dáinn.
  8. Sautons aussitôt de selle ;
    Toutes deux devrions nous asseoir
    Et des familles
    Des rois discourir,
    De ces hommes
    Qui des dieux descendirent.
  9. Ils ont parié
    Le métal des occis,
    Le jeune Óttar
    Et Angantýr [4] ;
    C’est un devoir d’agir,
    Pour que le damoiseau
    Garde le patrimoine
    De ses parents.
  10. Un autel il m’a élevé
    De pierres empilées ;
    Maintenant ces cailloux
    Sont comme cristal ;
    Rouge il est
    Du sang frais du bétail.
    Óttarr a toujours cru
    Dans les déesses ases.

[Début de la généalogie des ancêtres légendaires du roi (str. 11 à 28)]

  1. À présent, recense
    Les anciens ancêtres
    Et toutes les naissances
    Des familles humaines :
    Qui sont des Skjöldungar,
    Qui sont des Skilfingar,
    Qui sont les Öðlingar,
    Qui sont les Yflingar
    Qui sont nés des fermiers
    Qui sont nés des guerriers,
    Les meilleurs des occis
    Sous le Miðgarðr [5] ? »
  2. [Hyndla dit:]
    « Tu es Óttarr,
    Né d’Innsteinn,
    Et Insteinn l’était
    D’Álfr le vieux ;
    Álfr l’était d’Úlfr ;
    Úlfr, de Sæfari,
    Et Sæfari,
    De Svan le Rouge [6].
  3. Ton père avait une mère
    Honorée de colliers [7] ;
    Je crois qu’elle s’appelait
    Hlédís la Prêtresse.
    Fróði était leur père
    Et Fríund, leur mère.
    Tous estiment cette famille
    Appartenant à l’élite.
  4. Áli avait été auparavant
    Le plus fort des hommes,
    Avant Halfdan,
    Le plus grand des Skjöldungar ;
    Fameuses furent les batailles
    Celles glorieuses qu’ils firent ;
    On estime ses exploits graviter
    Sur la voile du ciel.
  5. Il s’allia à Eymund,
    Le meilleur des hommes,
    Mais affronta Sigtrygg
    Avec des armes froides,
    Alla épousa Almveig,
    La meilleure des femmes ;
    Ils firent et eurent
    Dix-huit fils.
  6. De là viennent les Skjöldungar,
    De là, les Skilfingar,
    De là, les Öðlingar
    De là, les Ynglingar,
    De là, les fils-de-fermiers,
    De là, les fils-de-guerriers,
    Les meilleurs des occis
    Sous le Miðgarðr.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  7. Hildigunnr était
    Sa mère,
    Née de Sváfa
    Et du roi-de-mer ;
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttar l’Idiot.
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  8. Dagr épousa Þóra,
    Mère de héros ;
    Naquirent dans cette famille
    Les grands champions :
    Fraðmarr et Gyrðr
    Et les deux Freki,
    Ámr et Jösurmarr,
    Álfr le Vieux.
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  9. Ketil s’appelait leur ami,
    Héritier de Klyppr ;
    C’était le père de la mère
    De ta mère ;
    Par là venait Fróði,
    Et Kari avant ;
    Le plus vieux [engendré] était Álfr.
  10. Nanna [8] venait ensuite,
    La fille de Nökkvi ;
    Son fils était
    Le beau-frère de ton père ;
    Antique est cette branche,
    Je peux remonter plus loin ;
    Je connais les deux
    Brodd et Hörvi.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  11. Ísolfr et Ásolfr,
    Fils d’Ólmóðr,
    Et les Skúrhildar,
    Filles de Skekkilr ;
    Tu peux compter
    De nombreux princes.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  12. Gunnar bálkr,
    Grímr arðskafi,
    Þórir Écu-de-fer,
    Úlfr le Bâilleur.
  13. Búi et Brámi,
    Barri et Reifnir,
    Tindr et Tyrfingr,
    Et les deux Haddingjar ;
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  14. À l’est de Bolm
    Étaient nés
    Les fils d’Arngrímr
    Et Eyfuru ;
    Le bruit des berserkir,
    Toutes sortes de fléaux
    Sur terre et sur eau
    Propageaient comme flamme.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  15. J’ai connu les deux,
    Brodd et Hörvi,
    Ils étaient dans la troupe
    De Hrólfr le Vieux ;
    Tous descendus
    De Jörmunrekkr,
    Gendre de Sigurðr,
    – Écoute mon histoire –
    Sinistre aux armées,
    Celui qui tua Fáfnir [9].
  16. Il était prince
    De Völsungr
    Et Hjördís ,
    De Hrauðungr,
    Mais Eylimi
    Des Öðlingar.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  17. Gunnar et Högni,
    Héritiers de Gjúka,
    Et Guðrún de même,
    Leur sœur.
    Gutþorm n’était pas
    De la famille de Gjúka,
    Bien que son frère
    L’était des deux.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.
  18. Haraldr Dent-batailleuse,
    Né de Hræki,
    Anneau-de-fronde,
    Était le fils d’Auðr ;
    Auðr Pensée-profonde,
    Fille d’Ívarr,
    Mais Ráðbarðr était
    Le père de Randverr ;
    C’étaient des hommes
    Aux dieux dévoués.
    Tous sont aussi de ta famille,
    Óttarr l’Idiot.

[Début de la Völuspá hin skamma « La Völuspá brève »]

  1. Onze ases ont été
    Dénombrés
    Quand Baldr fut couché
    Contre le tertre meurtrier.
    Váli trouva cela
    Digne d’être vengé :
    De son frère,
    Il tua le meurtrier.
  2. Le père de Baldr
    Hérita de Fils (Burr)
    Freyr épousa Gerðr ;
    Elle était fille de Gymir,
    Du clan des géants,
    Et d’Aurboða.
    Þjazi était aussi
    Leur parent,
    Le géant superbe ;
    Skaði était sa fille.
  3. Moult t’avons dit
    Et plus nous souvenons ;
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  4. Haki était de Hveðna
    De loin le meilleur des fils,
    Et, de Hveðna,
    Hjörvarðr était père,
    Heiðr et Hrossþjófr [étaient]
    À Hrímnir apparentés.
  5. Toutes les voyantes (völur)
    Viennent de Viðólfr ;
    Tous les chamans (vitkar),
    De Vilmeiðr,
    Et les sorciers (seiðberendr),
    De Svarthöfði  ;
    Tous les géants,
    D’Ymir proviennent.
  6. Moult t’avons dit
    Et plus nous souvenons ;
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  7. Il y en eut un qui naquit
    Au temps jadis,
    Très énergique,
    D’origine divine ;
    Neuf filles de géants
    Le portèrent
    L’homme au noble-clou,
    Au bord de la terre.
  8. Moult t’avons dit
    Et plus nous souvenons ;
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  9. Il est né de Gjálp ;
    Il est né de Greip ;
    Il est né d’Eistla
    Et Eyrgjafa ;
    Il est né d’Úlfr,
    Et Angeyja,
    Imdr et Atla,
    Et de Járnsaxa.
  10. Celui-là bénéficia
    De la force de la terre,
    De la mer froide
    Et du sang-[du-sanglier]-sacrificiel.
  11. Moult t’avons dit
    Et plus nous souvenons ;
    Je te presse d’en savoir autant.
    En veux-tu plus long ?
  12. Loki engendra le loup
    Avec Angrboða,
    Mais Sleipnir il porta
    Avec Svadilfari ;
    Un monstre semble,
    De tous, le pire,
    Qui du frère
    De Býleistr
    sortit.
  13. Loki mangea le cœur
    Du feu du tilleul ;
    Il avait trouvé, à moitié brûlée,
    De la femme la pierre-à-pensée.
    Bientôt Loftr est fécondé
    Par la mauvaise femme ;
    De là viennent tous les monstres
    Femelles du monde.
  14. L’océan se dresse en tempête
    Contre le ciel lui-même,
    Se déverse sur la terre
    Et l’air cède ;
    Ensuite, viennent la neige
    Et les vents furieux ;
    Alors il est décrété
    Que cessent les dieux.
  15. Il y en eut un qui naquit,
    Plus grand que tous.
    Celui-là bénéficia
    De la force de la terre ;
    Il fut déclaré
    Le plus grand des chefs,
    Par alliance apparenté
    À toutes les maisonnées.
  16. Alors en vient un autre
    Encore plus grand ;
    Je n’ose pourtant
    Prononcer son nom ;
    Peu voient après cela
    Loin au-delà,
    Quand Óðinn devra
    Se mesurer au loup. »

[Fin de la Völuspá hin skamma « La Völuspá brève »]

  1. [Freyja dit:]
    « Porte la bière-de-mémoire
    À mon sanglier,
    Qu’il puisse tous
    Les mots répéter
    De cet entretien
    Au troisième matin,
    Quand Angantýr et lui
    Retraceront leur lignée. »
  2. [Hyndla dit:]
    « Va-t’en loin d’ici
    Je veux dormir
    Tu obtiendras peu
    De faveurs de moi ;
    Tu cours, noble-amie
    Dehors à la nuit,
    Comme auprès des boucs
    Heiðrún [10] accourt.
  3. Tu courais à Furie (Óðr [11])
    Toujours pleine de désir ;
    Nombreux s’agitaient
    Sous le devant de ta jupe
    Tu cours, noble-amie
    Dehors à la nuit,
    Comme auprès des boucs
    Heiðrún accourt. »
  4. [Freyja dit:]
    « De feu je frappe
    L’íviðja [12] ;
    Que tu ne t’évades
    Point de là. »
  5. [Hyndla dit:]
    « Le feu, je vois flamber
    Et la terre embrasée ;
    Beaucoup devront payer de leur vie.
    Mets dans la main d’Óttar la bière
    Mêlée du poison
    De funeste présage. »
  6. [Freyja dit:]
    « Ton vœu verbal n’aura
    Aucun effet
    Quoique, fiancée du géant,
    Tu appelles l’affliction.
    Il boira
    Le breuvage précieux ;
    Je demande pour Óttarr
    L’aide de tous les dieux. »

Notes

[1] Kenningr : Óðinn.

[2] Sigmunðr obtint son épée à la mode du roi Arthur. Il fut le seul à pouvoir déloger sa lame enfoncée jusqu’à la garde par Óðinn dans un arbre. Il démérita ensuite de son protecteur. Óðinn brisa alors l’épée au cours d’une bataille et Sigmunðr périt. De ses échardes reforgées, le nain Reginn créa l’épée du fils posthume de Sigmunðr, le super-héros Sigurðr.

[3] Hildsvíni « Pourceau-de-bataille », le sanglier de Freyja.

[4] Angantýr Dieu-de-délice » est un roi de saga. Il faisait partie d’une fratrie de douze frères berserkir « chemises-d’ours ». Ces guerriers (dé)voués à Óðinn étaient censés se métamorphoser en ours. Ou combattre nus dans une peau d’ours. Ils étaient aussi censés mordre leur bouclier dans leur frénésie. Angantýr avait une épée magique qui tuait toujours une fois tirée de son fourreau. Noter qu’Óðinn est surnommé Angan Friggjar « Délice de Frigg » dans la Völuspá (str. 53)

[5] « Monde-du-milieu », le monde des humains et des dieux.

[6] « Cygne le Rouge ». Donc l’alfe (Alfe le Vieux) est né du loup (Úlfr), tel Völundr, et le loup de Sæfari « Voyage-maritime », né du Cygne.

[7] En général, les völur sont rétribuées par des colliers.

[8] La seule Nanna connue est l’épouse de Baldr et la fille de Nepr, nom d’un fleuve (Þulur). La Nanna de ce poème est la fille de Nökkvi, nom d’un bateau (Þulur).

[9] Nain métamorphosé en serpent géant pour garder son or. Occis par Sigurðr.

[10] Heiðrún « Rune ou Secret-de-Heiðr » est la chèvre qui fournit l’hydromel aux guerriers occis de la Valhalle. Heiðr « Brillante » est le nom d’une magicienne dans la Völuspá, str. 22. Telle est aussi Freyja. De plus, la chèvre est associée au sanglier qui nourrit la Valhalle.

[11] Óðr est le mari de Freyja. Il est toujours absent dans les mythes.

[12] Hyndla a traité Freyja de Heiðrún. Freyja traite Hyndla d’íviðja. Mot difficile à traduire (peut-être quelque chose comme « celle dans l’arbre »). Des íviðjur sont mentionnés près d’un arbre dans la Völuspá, str. 2.

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Commentaires

Il n’existe qu’une version médiévale du Chant de Hyndla. Le poème est intégré à toutes les éditions modernes de l’Edda. Il contient un passage consacré aux dieux, nommé Völuspà brève dans l’Edda en prose (chap. 5) de Snorri Sturluson (xiiie siècle), qui le cite. De l’avis des experts, la Völuspá brève et le Chant-de-Hyndla étaient deux poèmes distincts à l’origine. Par son titre, Snorri relie la Völuspá brève à la Völuspá. Hyndla est donc une völva.

La Völuspá brève

La Völuspá brève commence par la mort du dieu Baldr (str. 29). Ce décès prématuré conduit au Ragnarök.

Les trois hommes d’exception

Naît un homme d’exception (str. 35). Hyndla lui accorde une grande attention, mais omet son nom. Les experts s’accordent à voir en lui Heimdallr sur le témoignage de Snorri. Noter que cet homme est nourri à trois sources (str. 38) :

  • la terre ;
  • la mer froide ;
  • le sang du sanglier sacrificiel.

Ces trois sources correspondent exactement à celles de l’arbre du monde :

  • LA SOURCE D’URÐR. Urðr alimente l’arbre de boue-blanche. Elle renvoie à la terre.
  • HVERGELMIR. Dans Hvergelmir coulent les fleuves Élivágar, ou Océan primordial. Ceux-ci gelèrent tout sur leur passage. Hvergelmir renvoie à la mer froide.
  • LA SOURCE DE MÍMIR. Mímir est tué par les dieux vanes. Les vanes adoptés par les dieux ases deviennent les sacrificateurs des dieux. Freyr, leur chef, a pour attribut le sanglier. La source de Mímir renvoie au sang du sanglier sacrificiel.

Aussitôt après cet homme d’exception, Loki est évoqué. C’est justement l’ennemi intime de Heimdallr. Trois enfants lui sont attribués. Si la naissance de Heimdallr était peu commune, chaque naissance des enfants de Loki est de plus en plus surprenante (str. 40) :

  • Le loup Fenrir, naît de la géante Angrboða « (Ap)Porteuse-de-tristesse ».
  • Le cheval Sleipnir, naît de l’étalon Svadilfari « Voyage-malheureux ». Loki était métamorphosé en jument.
  • Les monstres femelles. Leur modèle est a priori Hel, géante régente des morts. Ces filles naissent du cœur cuit (à moitié) d’une mauvaise femme mystérieuse avalé par Loki.

Noter que Snorri attribue à Loki la paternité des trois monstres mythiques (Fenrir, le serpent du Miðgarðr et Hel), en plus de la naissance de Sleipnir. Ici, le serpent manque.

Une tempête s’abat ensuite – ou plutôt une guerre (str. 42). Le Ragnarök est suggéré, la guerre des géants et des dieux. Il existe toutefois une autre guerre divine : celle des ases et des vanes, ou première guerre du monde.

Naît un deuxième homme d’exception (str. 43). À mon avis, il ne peut s’agir que de Þórr. Il est le fils de la terre et le mari de Sif, listée parmi les noms de la terre (Þulur). À cet indice s’en ajoute un autre imparable : Sif veut dire « Parenté par alliance » et Þórr est ici « par alliance apparenté » (SIF SIFjaðan) à tous.

Un troisième homme d’exception rapplique alors (str. 44). Il est moins facile à identifier, mais Baldr semble un bon candidat. Il ne « naît » pas, comme ses prédécesseurs, mais il « vient ». Or, après que le loup a dévoré Óðinn au Ragnarök, Baldr rentre de chez Hel. Bref, tout commence et finirait avec Baldr dans la Völuspá brève si mon hypothèse est correcte. Le dernier dieu nommé est Óðinn, pour la première fois cité par son nom. Baldr ne peut revenir qu’après sa mort.

Noter que Heimdallr, Þórr et Baldr sont les héros des trois mythes du poème Húsdrápa du scalde Úlfr Uggason. Accessoirement, ils ont tous trois des mères puissantes.

Le Chant de Hyndla

Le Chant de Hyndla a une affiche unique car il est constitué exclusivement d’un dialogue entre deux femmes.

Hyndla « Petite-Chienne » est décédée comme le prouve sa résidence (helli « caverne », d’où dérive le nom de Hel). C’est une femme-tröll, une géante dont la monture est un loup. Qu’elle ait au moins deux loups est plus insolite. Quand les loups mythiques vont par paire, ils poursuivent le soleil et la lune – sauf ceux d’Óðinn.

Freyja réveille Hyndla au crépuscule (str. 1). Celui-ci annonce, en général, la fin des dieux (Ragnarök ou Ragnarökkr « Crépuscule-des-dieux »). Pourtant, ce qui va se dérouler à la Valhalle (où Freyja entraîne Hyndla) est un pari entre Óttar et un certain Angantýr. Les deux hommes se disputent le meilleur lignage. Du moins, Óttar a parié le « métal des occis », sans doute plus ferreux que doré, contre Angantýr.

Le roi Óttar

Freyja presse Hyndla de l’accompagner à la Valhalle (Valhöll « Halle-des-guerriers-occis »). Des humains (historiques ou légendaires), seuls les guerriers-occis (du moins, les hommes morts les armes à la main) entrent à la Valhalle d’Óðinn. Il est donc plausible que les parieurs sont moins humains que divins.

Freyja monte son sanglier. Elle qualifie sa monture de Gullinbursti « Soies-d’or », nom du sanglier-attribut de Freyr. Hyndla est revêche car Freyja omet de dire que son verrat est son amant, le roi Óttarr métamorphosé.

Il est, somme toute, approprié qu’un roi soit changé en sanglier, car son titre archaïque (et un synonyme de roi) est jöfurr « verrat » (cochon sauvage reproducteur). Le surnom peu flatteur d’Óttarr (l’Idiot) pourrait souligner l’ignorance qu’il a de son lignage (le roi archaïque n’était pas dynastique), ou du destin qui l’attend. Hyndla fait remonter sa lignée (au moins) jusqu’à Álfr le Vieux, alfe de par son nom… Et Freyr est le maître du Monde-de-l’alfe (Álfheimr). Son plus ancien ancêtre est Svan « Cygne » le Rouge. Les alfes sont associés aux alfes depuis Völundr, alfe meurtrier qui se changea en cygne (Völundarskviða).

Óttarr a des chances d’être Freyr, ex-mari et frère de Freyja, ou Óðr (allitératif avec Óttarr), son mari toujours absent. Cela d’autant plus que Byggvir, le serviteur de Freyr, glorifie l’extraction familiale de son maître (Lokasenna, str. 43). Et pourtant, on ne connaît qu’un père à Freyr.

Hyndla prévoit que la déesse emmène son amant à la mort. Le fait est que les locataires de la Valhalle dînent d’un sanglier chaque jour, qui renaît (se réincarne, littéralement) le soir. Hyndla traite Freyja de Heiðrún « Rune-brillante », chèvre femelle qui alimente la Valhalle en hydromel. Bref, la chèvre est complémentaire du sanglier. Hyndla insinue que Freyja sera infidèle et renégate – qu’elle prendra un nouvel amant une fois débarrassée de l’ancien. Comme elle refuse de servir à Óttarr la bière-de-mémoire, Freyja menace Hyndla de la brûler vive. Or, la guerre des vanes et des ases commence par la magicienne Gullveig « Boisson-d’or » (telle la bière) brûlée vive à la Valhalle (Völuspá, str. 21). Celle-ci renaît en… Heiðr (comme dans Heiðrún).

À la fin du poème, on voit les deux femmes se rendre de concert à la Valhalle. On ne peut certifier vers quel destin vont les cavalières. Hyndla finit brûlée, semble-t-il, par un feu dont elle prédit qu’il incendiera le monde. Comme elle est déjà défunte, ce destin ne lui fait ni chaud ni froid.