Sif
La déesse ase Sif est l’épouse d’un dieu (majeur) et la mère d’un autre. Son absence de la présentation des dieux de l’Edda de Snorri (Gylfaginning) est d’autant plus voyante…
Nom de Sif
Sif est une déesse discrète. On ne sait rien de ses origines. On remarque à peine que c’est une spákona « femme-de-prophétie » (Gylfaginning, prologue). On peut aussi remarquer que, comme la géante Skaði, devenue déesse par mariage, elle a épousé un dieu du ciel.
Le nom de Sif signifie « Parenté par alliance ou par mariage ». Il pourrait donc suggérer que Sif (telle Skaði) n’est pas d’origine divine. Il pourrait aussi marquer la rupture entre les pratiques matrimoniales des dieux ases (tels Þórr) et vanes (tels Njörðr, époux de Skaði). Les vanes pratiquaient, en effet, l’inceste entre frère et sœur au lieu du mariage par alliance.
En tout cas, Snorri omet Sif de sa présentation des dieux (Gylfaginning). Il n’y cite que quatre déesses (Frigg, Freyja, Skaði et Nanna) en plus de déesses mineures. En revanche, il substitue Sif à Skaði dans sa liste de kenningar pouvant désigner quatre déesses (Skáldskaparmál, chap. 19 à 22). Ce pourrait être fortuit. Ou pas.
Famille de Sif
(Skáldskaparmál, chap. 21) :
Comment doit-on désigner Sif ?
De manière à l’appeler femme de Þórr, mère d’Ullr, déesse à la belle chevelure, rivale de Járnsaxa, mère de Þrúðr.
Sif est l’épouse de Þórr « Tonnerre ». C’est la rivale de la géante Járnsaxa « Dague-de-fer », qui a eu un fils avec Þórr. C’est la mère de Þrúðr « Force », fille de Þórr. C’est aussi la mère d’Ullr, de père inconnu.
Le dieu Ullr a justement de fortes affinités avec Skaði : il est önduráss « l’ase-du-ski » ; elle est öndurdís « la dise-du-ski ». Sif ET Skaði ont donc un lien avec Ullr. Elles ne partagent pas seulement la même initiale : la rune ᛋ « Sól » (voui, le soleil est si important dans le Nord que c’est le nom d’une rune). Toutes deux pourraient avoir un caractère saisonnier. Si Skaði est manifestement hivernale, Sif pourrait être estivale.
Les Vikings n’avaient que deux saisons principales : l’été et l’hiver. Le printemps n’était que le prélude de l’été. L’automne était celui de l’hiver. Or donc, le seul mythe connu sur Sif la rattache à la fin de l’été, ou au début de l’automne.
La chevelure d’or de Sif
L’or peut être désigné de bien des kenningar. Snorri en donne un échantillon (Skáldskaparmál, chap. 32) :
Comment doit-on désigner l’or ?
De manière à l’appeler feu d’Ægir et aiguilles (ou feuilles) de Glasir, chevelure de Sif, bandeau (ou snood) de Fulla, larmes de Freyja, bouchée, voix et parole de géants, suintement de Draupnir, ou pluie, ou averse de Draupnir, ou des yeux de Freyja, tribut de la loutre, rétribution forcée des ases, graine des plaines de Fýrir, toit du tertre funéraire de Hölgi, feu de toutes les eaux, roc et récif ou lueur de la main.
Snorri en explique plusieurs en détail. Ou plutôt, il révèle le mythe caché dans ces kenningar. La chevelure de Sif en fait partie.
Création des attributs des dieux
Loki coupe la chevelure blonde de Sif. Pour éviter les foudres de Þórr, il lui fait fabriquer une chevelure d’or qui pousse naturellement. Il en profite pour organiser un concours entre forgerons pour fabriquer les attributs des dieux :
- la chevelure de Sif et le marteau de Þórr ;
- le sanglier et le bateau de Freyr ;
- la lance et l’anneau d’Óðinn.
La chevelure de Sif est donc à l’origine de tous les autres attributs (Skáldskaparmál, chap. 35) :
Pourquoi l’or est-il appelé chevelure de Sif ?
Loki Laufeyjarson, par malice, avait fait en sorte de couper toute la chevelure de Sif. Quand Þórr le découvrit, il attrapa Loki et aurait cassé chacun de ses os, avant qu’il ne jurât de cela : qu’il irait chez les alfes-noirs, pour qu’ils fissent cette coiffure d’or à Sif, qui pousserait comme toute chevelure. Après quoi, Loki se rendit chez ces nains qu’on appelle les fils d’Ívaldi, et ils fabriquèrent la chevelure et Skíðblaðnir et la lance qu’Óðinn possédait, appelée Gungnir. Loki paria ensuite sa tête avec ce nain, qui s’appelait Brokkr, que son frère, Sindri ne pourrait pas faire trois choses aussi précieuses que celles-là.
Mais retournons à la chevelure magique. La tonte était le châtiment des femmes adultères. Loki (Lokasenna, str. 54) et Óðinn (Hárbarðljóð, str. 48) accusent justement Sif de ce crime. Si Sif n’était pas listée parmi les noms de la terre (Þulur), on pourrait s’arrêter là…
Des experts ont vu dans cette tonte le fauchage des moissons de blé mûr. J’ai une préférence pour la fenaison et ses foins coupés. En vieux norrois, en effet, nos meules s’appellent des heyhjálmar « CASQUES-de-foin ». Le casque d’or de Sif la transforme en déesse de l’abondance. Mais elle a beau être une incarnation de la terre, ses cheveux tondus rappellent aussi les rayons du soleil écourtés du tournant de l’été (après le soleil de minuit estival et d’éventuels orages).