Völuspá « La prophétie de la voyante »
Nouvelle traduction intégrale du poème introductif de l’Edda poétique
(xiiie siècle, auteur anonyme)
Cette traduction se base sur le texte établi par les experts à partir des deux manuscrits existants combinés (le Codex Regius, du xiiie siècle, plus connu sous le titre d’Edda poétique, et le Hauksbók, du xive siècle) – en plus des strophes citées dans l’Edda en prose de Snorri. Les deux versions sont complémentaires dans l’ensemble. Toutefois, l’ordre différent de plusieurs strophes communes aux deux versions pose un problème insoluble.
J’ai gardé la traduction consacrée du titre.
Imaginez une femme sans âge, en transe. Assise sur une sorte de plateforme, elle chante, entourée d’une foule silencieuse…
Lien vers le texte en langue originale heimskringla.no ↗
- À l’écoute j’invite tous
Les êtres sacrés,
Grands et petits,
De Heimdallr les fils.
Tu désires, Père-des-occis [1],
Que simplement je dise,
Des histoires des mortels,
Les premières que je me rappelle. - Je me souviens des géants
Nés aux commencements
Qui jadis
M’ont nourrie.
Des neuf mondes, je me souviens,
Des neuf íviðjur [2],
De l’Arbre-Mesureur [3] illustre
D’en-dessous le sol. - C’était à l’origine des âges
Quand Ymir [4] s'installa.
Il n’y avait ni sable, ni lac,
Ni vagues froides ;
Nulle terre ne se trouvait,
Ni ciel en son sommet,
– Béant était l'abîme –
Et d’herbe nulle part. - D’abord, les fils du Fils [5]
Soulevèrent les terres,
Ceux qui, le Miðgarðr
Superbe, édifièrent.
Le soleil brilla du sud
Sur les pierres de la salle,
Alors le sol se couvrit
D’un poireau [6] vert. - Le Soleil lança du sud,
Compagnon de la Lune,
Sa main droite
Sur la lisière du ciel [7].
Le Soleil ne savait
Où son domicile avait,
Les étoiles ne savaient
Où leur logis était,
La Lune ne connaissait pas
Son pouvoir [8]. - Alors toutes les puissances
Trottèrent aux sièges-du-destin,
Les dieux sacro-saints,
Et de ceci délibérèrent :
À la Nuit et à ses descendants [9],
Ils donnèrent nom ;
Ils nommèrent matin
Et midi,
Après-midi et soir
Pour mesurer les ans. - Les ases se réunirent
Dans la Plaine-tournoyante [9a].
Un tertre et de hauts temples,
Là, ils ont construit
Et fours y ont mis ;
Trésors, ils forgèrent,
Tenailles, ils formèrent,
Et outils ont produit. - Jouaient au tafl [10] dans le pré,
Joyeux, ils étaient,
Ne manquaient pas
D’une once d'or,
Jusqu’à l’arrivée de trois
Vierges de þursar [11]
Très puissantes
Des Jötunheimar. - Alors toutes les puissances
Trottèrent aux sièges-du-destin,
Les dieux sacro-saints,
Et de ceci délibérèrent :
Qui devrait faire
Les troupes de nains
Du sang de Brimir
Et des os (des jambes) de Bláinn [12]. - Móðsognir était là,
Qui devint de tous les nains
Le plus éminent,
Et Durinn le second.
Des formes humaines
Firent par centaines
Les nains, de la terre,
Comme le dit Durinn. - Nýi et Niði,
Norðri et Suðri,
Austri et Vestri [13],
Alþjófr, Dvalinn,
[Nár et Náinn,
Nípingr, Dáinn,]
Bífurr, Báfurr,
Bömburr, Nóri,
Án et Ánarr,
Ái, Mjöðvitnir. - Veigr et Gandálfr,
Vindálfr, Þráinn,
Þekkr et Þorinn,
Þrór, Litr et Vitr,
Nár et Nýráðr,
Maintenant, j’ai les nains
– Reginn et Ráðsviðr –
Correctement comptés. - Fíli, Kíli,
Fundinn, Náli,
Hepti, Víli,
Hanarr, Svíorr,
[Nár et Náinn,
Nípingr, Dáinn,
Billingr, Brúni,
Bíldr et Búri,]
Frár, Hornbori,
Frægr et Lóni,
Aurvangr, Jari,
Eikinskjaldi. - Il est temps d’énumérer, des nains
Des troupes de Dvalinn,
Les peuples des descendants
Jusqu’à Lofarr,
Ceux qui allèrent,
De la halle des pierres,
Chercher les bancs des Champs-bourbeux,
Aux Plaines-de-Jöra [14]. - Étaient là Draupnir [15]
Et Dolgþrasir,
Hár, Haugspori,
Hlévangr, Glóinn,
[Dóri, Óri,
Dúfr, Andvari,]
Skirvir, Virvir,
Skáfiðr, Ái. - Álfr et Yngvi [16]
Eikinskjaldi,
Fjalarr et Frosti,
Finnr et Ginnarr.
Sera digne de mémoire,
Tant que dure l'humanité,
La liste des lignées
De Lofarr. - Jusqu’à ce que trois ases
De cette troupe,
Forts et bons,
Arrivassent à la maison ;
Ils trouvèrent à terre,
De peu de facultés,
Askr et Embla [17],
Sans destinée. - De souffle, ils n’avaient point ;
D’esprit, ils n’avaient pas,
Ni expression ni prestance,
Ni jolie carnation.
Óðinn leur donna le souffle ;
Hœnir leur donna l’esprit ;
Lóðurr leur donna expression
Et jolie carnation [18]. - Je [19] sais un frêne qui s’élève
Yggdrasill [20] est son nom,
Un arbre haut,
Arrosé de boue-blanche ;
De là vient la rosée
Qui tombe dans les vallons ;
Vert, toujours il se tient,
Dessus la source du Destin. - De là viennent vierges
De grand savoir,
Trois, du lac [21]
D’en-dessous l’arbre.
Urðr s’appelait l’une,
Verðandi l’autre
– Elles gravaient un bout de bois –
Skuld la troisième [22].
Elles édictaient les lois ;
Elles fixaient les vies
Aux enfants mortels,
Les destinées humaines. - Elle [23] se souvient de la première
Guerre du monde,
Quand ils cloutèrent
Gullveig [24] de lances,
Et dans la halle de Grisonnant [25]
La brûlèrent :
Trois fois brûlée,
Trois fois renaît,
À nouveau et encore,
Et pourtant vivante. - On l’appelait Brillante [26]
Quand elle [27] entrait dans les logis ;
Voyante (völva) à la prophétie plaisante [28],
Elle conjurait les bâtons magiques [29] ;
La magie (seiðr), elle pratiquait partout ;
La magie (seiðr), célébrait en transe ;
Toujours, faisait le délice
D’une mariée méchante. - Alors toutes les puissances
Trottèrent aux sièges-du-destin,
Les dieux sacro-saints,
Et de ceci délibérèrent :
Que les ases paient tribut,
Ou que tous les dieux
Reçoivent récompense [30]. - Óðinn fit voler sa lance
Et tira sur la foule [31].
C’était encore la première
Guerre du monde ;
Brisée fut la palissade
Du fort des ases [32],
Les vanes prophètes-de-guerre
Purent fouler la plaine. - Alors toutes les puissances
Trottèrent aux sièges-du-destin,
Les dieux sacro-saints,
Et de ceci délibérèrent :
Qui a vicié l’air de malice,
À la tribu du géant
Offert la vierge d’Óðr [33]. - Þórr frappait là seul
Débordant de rage
– Il tient peu en place
Quand il entend choses pareilles [34].
Violés étaient les vœux,
Les paroles et les pactes,
Tous les discours solennels
Qui allaient avec. - Elle sait que Heimdallr
Sa corne (hljóð) a caché
Sous l’arbre sacré
À clarté habitué [35].
Une rivière, elle voit gicler,
En bourbeuse cascade,
Du gage du Père-des-tués.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Seule, elle était assise dehors
Quand le Vieux [36] arriva,
L’Enfant-terrible des ases [37],
Et regarda dans ses yeux.
« Que me demandez-vous ?
Pourquoi me testez-vous ?
Je sais tout, Óðinn,
Où tu as caché ton œil :
Dans la renommée
Source de Mímir.
Mímir boit l'hydromel
Chaque matin
Du gage du Père-des-occis [38] ».
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Le Père-des-armées [39] choisit pour elle
Bracelets et colliers ;
Obtint des dictons perspicaces
Et des bâtons divinatoires
Elle voyait loin et partout
Dans chaque monde. - Elle vit les valkyries
Venues de loin
Prêtes à chevaucher
Jusqu’au domaine des dieux.
Skuld portait un bouclier,
Et Skögul l'accompagnait,
Gunnr, Hildr, Göndul,
Et Geirskögul [40].
Maintenant sont listées
Les dames du Seigneur-de-la-Guerre [41]
Prêtes à chevaucher,
Valkyries, par dessus la terre. - J’ai vu pour Baldr,
Sacrifié sanglant,
Enfant d’Óðinn,
Le destin scellé.
Se tenait là, épanoui,
Plus haut que les plaines,
Grêle et très gracieux,
Le Rameau-de-gui [42]. - Il advint de cette tige
D’allure gracile
Une cruelle perche de péril ;
Höðr la prit, tira.
Un frère de Baldr [43]
Bientôt naquit,
Ce fils d’Óðinn qui
Tua à l’âge d’une nuit. - Pourtant, il ne se lava les mains,
Ni ne se peigna la tête
Que sur le bûcher ne fut porté
L’ennemi de Baldr [44].
Mais Frigg pleura
Dans les Halles-du-marais,
Le malheur de la Valhalle [45].
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Alors Váli [46] put
Tordre des brides-de-bataille ;
Elles étaient plutôt solides
Ces entraves [faites] d’entrailles. - Un captif elle vit gisant
Sous le Bosquet-des-chaudrons [47],
Dans la forme perfide [48]
Propre à Loki.
Là, Sigyn [49] est assise,
– Pourtant peu ravie –
Pour le bien de son mari.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Coule de l’est un fleuve
À travers les vallées-venimeuses [50]
D’épées et de couteaux ;
Cruel est son nom. - Se dressait au nord,
Dans les Plaines-sans-lune,
La halle d’or
De la famille de Sindri [51] ;
Mais une autre se dressait
Dans Jamais-Refroidie,
La halle à bière d’un géant,
Et Brimir [52] est son nom. - Une halle, elle vit dressée
Loin du soleil
Sur les Rives-des-morts [53],
La porte face au nord.
Des gouttes de poison tombent
Du trou à fumée du toit.
Tressée est cette halle
De corps de serpents. - Là, elle a vu patauger
Dans les fleuves lestés,
Des parjures
Et des loups meurtriers
Et celui qui séduit
L’oreille-intime [54] d’un autre.
Là, Níðhöggr [55] suçait
Les cadavres des trépassés,
Que le loup déchiquetait.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - À l’est, était assise la Vieille
Dans la Forêt-de-fer [56],
Et y élevait
Les fils de Fenrir.
D’entre ceux-là surgira
Celui qui,
En peau de tröll,
La lune attrapera. - Il se repaît du corps
Des hommes voués à la mort,
Colore le siège des puissances [57]
De rouge sang.
Noir sera le soleil
Dans les étés suivants,
Et le temps détestable.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Assis-là, sur un tertre,
Et jouant de la harpe,
Le pâtre de la géante,
Le joyeux Eggþérr [58].
Chantait près de lui
Sur le Bois-du-gibet
Un coq rutilant,
Fjalarr [59] de nom. - Au-dessus des ases chanta
Peigne-doré ;
Il éveille les hommes
Du Père-des-armées [60],
Mais un autre chante
Dessous la terre,
Un coq rouge et noir,
Dans les halles de Hel [61].
- Garmr [62] (maintenant) aboie fort
Devant la Caverne-du-pinacle
La chaîne va rompre,
Et le vorace [63] fuir.
Elle connaît moult du savoir ancien.
Je vois loin à l’avance
Le Destin-des-puissances.
Et le conflit violent des dieux-de-victoire. - Les frères se battront [64]
Et s’entretueront,
Les enfants de sœurs
S’outrageront.
La sauvagerie est sur le monde,
La débauche débridée,
Âge de hache, âge d’épée,
Les boucliers se fendent,
Âge du vent, âge du loup
Avant que le monde s'effondre.
Nul homme ne fera
À un autre quartier. - Les fils de Mím(i)r dansent,
Mais la mesure-de-destin [65] flambe
Quand retentit
Corne-résonnante [66].
Fort souffle Heimdallr,
La corne en l’air.
Óðinn parle
Avec la tête de Mím(i)r. - Tremble Yggdrasill
Le frêne, qui tient bon ;
Le vieil arbre gémit (ymr)
Et le géant libre s’enfuit [67]. - [Tous s’épouvantent
Sur les routes-de-Hel
Avant que le parent de Surtr
Ne l’ingurgite.] [67a]
- Qu’en est-il des ases ?
Qu’en est-il des alfes ?
Tout Jötunheimr en rage.
Les ases tiennent conseil.
Les nains grommellent
Aux portes de pierre,
Experts en murs-de-roc.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Maintenant Garmr aboie fort
Devant la Caverne-du-pinacle ;
La chaîne va rompre,
Et le vorace fuir.
Elle connaît moult du savoir ancien.
Je vois loin à l’avance
Le Destin-des-puissances.
Et le conflit violent des dieux-de-victoire. - Hrymr se déplace de l’est,
Son bouclier devant lui levé [68].
Jörmungandr [69] se tord
Dans une rage-de-géant.
Le serpent frappe les vagues
Et l’aigle glatit.
Bec-pâle lacère les corps,
Naglfari [70] est libre. - Une nef vogue de l’est :
Viendront par mer
Les gens de Muspell [71],
Et Loki tient la barre.
Les géants voyagent
Tous avec le vorace [72] ;
Le frère de Býleiptr [73]
Est de la partie. - Surtr aborde du sud
Avec la destruction-des-branches [74] ;
De son épée resplendit
Le soleil des dieux-des-occis.
S’entrechoquent les montagnes
Et les géantes sont en marche.
Les morts foulent la route de Hel,
Et le ciel se fend. - Alors arrive à Hlín [75]
Le second chagrin,
Quand Óðinn va
Affronter le loup ;
Et le meurtrier brillant
De Beli [76], Surtr.
Alors, de Frigg,
Tombera le délice [77]. - Maintenant Garmr aboie fort
Devant la Caverne-du-pinacle
La chaîne va rompre,
Et le vorace fuir.
Elle connaît moult du savoir ancien.
Je vois loin à l’avance
Le Destin-des-puissances.
Et le conflit violent des dieux-de-victoire. - Alors, arrive le noble
Fils du Père-de-la-victoire [78],
Víðarr, qui frappe
La bête charognarde.
Dans le fils de Hveðrungr [79],
Il enfonce de sa main
L’épée jusqu’au cœur.
Alors, est vengé son père. - Alors, arrive le fils
Célébré de Hlöðyn [80] ;
Le fils d’Óðinn s’avance
Pour occire le serpent.
Il frappe avec furie,
Le veilleur du Miðgarðr [81]
– Tous les hommes fuiront
Leur habitation –
Le fils de Fjörgyn,
Défaillant,
S’éloigne sans blâme neuf pas
Du venin [fatal] de la vipère. - Le soleil s'obscurcit ;
La terre sombre dans la mer ;
Se détournent du ciel
Les luisantes étoiles.
Les fumées s’empressent
Contre les flammes,
La fournaise se dresse
Contre le ciel lui-même [82]. - Maintenant Garmr aboie fort
Devant la Caverne-du-pinacle
La chaîne va rompre,
Et le vorace fuir.
Elle connaît moult du savoir ancien.
Je vois loin à l’avance
Le Destin-des-puissances.
Et le conflit violent des dieux-de-victoire. - Elle voit surgir
Une seconde fois
La terre de l’océan,
Toute verdoyante [83].
Les cascades rigolent ;
Un aigle les survole
Qui, dans les collines,
Chasse les poissons. - Les ases se rassemblent
Dans la Plaine-tournoyante [84]
Et dissertent
Sur le Fil-de-la-Terre [85].
Là, se remémorent
Les hauts faits
Et, du Dieu-formidable [86],
Les anciens secrets (rúnar). - Là, une fois encore,
Les merveilleux
Pions de tafl d’or
Seront trouvés dans l’herbe ;
Ceux dont, antan,
Leurs clans étaient maîtres. - Sans ensemencer,
Pousseront les moissons ;
Tous les maux guériront ;
Baldr reviendra.
Ils habiteront, Baldr et Höðr,
Les demeures-de-victoire de Hroptr [87],
Temples des dieux-des-guerriers-occis.
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Alors Hœnir peut choisir
Le rameau (augural)-de-sacrifice [88],
Et les fils des deux
Frères s’établissent
Dans le vaste Monde-du-vent [89].
Comprenez-vous toujours – et quoi ? - Une halle elle voit édifiée,
Plus splendide que le soleil,
À la toiture d’or,
Dans l’Abri-des-flammes ;
Là, de valeureuses
Troupes s’installent
Et, leur vie durant,
Jouissent de délices. - Alors vient d’en-haut,
Pour le jugement suprême,
La puissance souveraine
Qui tout gouverne [90]. - Alors vient le sombre
Dragon volant,
Serpent scintillant, d’en-dessous
Les Collines-sans-lune ;
Il porte dans son plumage
– Plane dessus la plaine –
Níðhöggr, le carnage.
Maintenant, elle va sombrer [91].
Notes et commentaires
Notes et commentaires sont mélangés pour faciliter la compréhension de ce texte admirable, mais complexe. Gardez cependant à l’esprit que cette interprétation pas à pas n’est qu’une hypothèse.
[1] Valföðr « Père-des-guerriers-occis » est une kenningr désignant Óðinn.
Le premier dieu cité est Heimdallr – ce qui n’a rien d’anodin. Heimdallr a donné leur ordre social aux humains et n’était pas étranger à la conception de leurs enfants (Rígsþula). Il est donc un père de tous, sauf de nom.
Le premier mot de la völva est hljóð, que j’ai traduit par « à l’écoute ». Il renvoie encore à Heimdallr, qui cache son hljóð à sa deuxième mention (str. 27).
[2] L’étymologie d’íviðjur, neuf dames associées à un Arbre-Mesureur, est spéculative. Le nom voudrait dire (littéralement) « celles dans l’arbre ». Íviðja est aussi le nom d’une femme-tröll, géante montée sur un loup (Þulur).
[3] Mjötviðr « Arbre-Mesureur (de destin) », littéralement « Arbre-de-juste-mesure ». Son nom est une kenningr dont l’énigme peut masquer n’importe quoi, ou n’importe qui… entouré de neuf dames. Or, Mjötviðr succède à la mention de Heimdallr (str. 1), né de NEUF mères.
[4] Ymir « Double, Jumeau » est le géant primordial. Premier être créé, son corps démembré a servi de matière au monde (Gylfaginning, chap. 8). Ici, il survient de nulle part et s’installe dans l’abîme béant, ou Ginnungagap.
Noter que la völva abandonne le JE pour devenir une voix off. Avec cette voix impersonnelle, nous entrons dans le temps continu et chronologique, celui d’un début et d’une fin. C’est le temps de l’Histoire.
[5] Burr « Fils ». Il est appelé Borr dans la Gylfaginning (chap. 6). Il y est le père des trois premiers dieux (Óðinn, Vili et Vé), meurtriers d’Ymir.
[6] Le poireau était la plante magique suprême des Vikings (avec l’ail et les plantes à bulbe en général). Grâce au soleil, les plantes sortent de terre. Après l’arbre souterrain (str. 2), on assiste à l’éclosion de l’arbre du monde (toujours vert), qui n’est encore qu’un poireau vert, frêle, mais magique. On assiste donc ici à la naissance du monde. Ni plus ni moins.
[7] La ligne d’horizon.
[8] Le pouvoir de la lune n’est pas perceptible d’emblée car elle gonfle et dégonfle jusqu’à disparaître à chaque lunaison. Il faut douze (ou treize) lunes pour une année solaire. Et pourtant, le soleil n’éclaire ni ne chauffe avec la même intensité selon chacune de ces lunes. Tel est le pouvoir majeur de la lune.
[9] Nótt « Nuit » est la mère de Dagr « Jour ». Selon Snorri, Auðr « Richesse » et Jörð « Terre » sont aussi ses enfants. La Nuit semble être ici la mère du matin, du soir, etc. (non personnifiés ailleurs).
[9a] La Plaine-tournoyante (Iðavöllr) est le ciel. Y tournoient le jour et la nuit avec son ballet d’étoiles. La famille divine des ases se distingue des autres puissances surnaturelles en édifiant leur monde au ciel. C’est, du moins, mon avis.
[10] Le tafl était le jeu de société « national » des Vikings. Jeu de stratégie autant que de hasard… ou plutôt du destin, le déplacement des pions était soumis au lancer d’un dé. Le pré est encore le ciel. Apparemment, il représente le plateau de jeu.
[11] Rien n’a filtré de ces trois filles de þursar (géants, de þyrst « assoiffé »). Elles viennent des Jötunheimar « Mondes-du-géant ». Leur triade précède les trois nornes, maîtresses du destin associées à l’arbre du monde (str. 20) et les six valkyries (str. 30), mais suit les neuf íviðjur (str. 2).
[12] Brimir « Écume » ou « Vague déferlante » (nom d’un géant) et Bláinn « Bleu-noir » (nom d’un nain ET d’un alfe) seraient un autre nom d’Ymir. Le sang de Brimir est une kenningr qui désigne l’océan.
[13] Nýi et Niði « Lune-croissante » et « Lune-décroissante ». Norðri et Suðri « Nord » et « Sud ». Austri et Vestri « Est » et « Ouest ». Comme traduire leurs noms relève pour certains de la spéculation, je les laisse tels quels.
Les deux premiers forgent des formes humaines pour créer leurs congénères (str. 10). De fait les nains mythiques ont taille humaine.
La liste des nains (str. 11 à 16) est appelée Dvergamál « Dits-des-nains ». Snorri l’a reprise et légèrement modifiée (Gylfaginning, chap. 14).
Cette liste fait partie des trois listes nominatives de la Völuspá avec les nornes (str. 20) et les valkyries (str. 30). C’est la seule liste masculine et la plus longue (une soixantaine d’individus). Ái « Bisaïeul » (str. 11 et 15) et Eikinskjaldi « Écu-de-chêne » (str. 13 et 16) y sont cités deux fois. Ces doublons suggèrent aux experts qu’il y a deux listes imbriquées. Quelle qu’elle soit, la liste des nains serait un ajout au poème original.
Les nains ne sont pas une simple famille surnaturelle de plus. Leurs noms le prouvent :
- des noms de nains sont aussi ceux de géants ;
- d’autres sont composés avec álfr « alfe », tribu surnaturelle proche des dieux ;
- Yngvi (str. 16) est un nom alternatif du dieu vane Freyr ;
- un des nains s’appelle Reginn « Puissant » (str. 12).
Bref, les nains sont liés à toutes les familles, sauf aux ases.
[14] Halle des pierres (salar steini) et Champs bourbeux (Aurvangar). Jöru, des Plaines-de-Jöra, est diversement traduit.
[15] Draupnir « Goutteur » est le nom de l’anneau (bracelet) d’or de Baldr – d’Óðinn pour Snorri.
[16] Álfr « Alfe ». Yngvi est un nom alternatif du dieu Freyr, propriétaire du Monde-de-l’alfe.
[17] Le premier couple humain. Askr « Frêne », tel l’arbre du monde.
[18] La triade Óðinn, Hœnir, Loki participe à trois expéditions ensemble. Hœnir donne l’óðr aux humains. Ce mot a la double acception de « fureur », comme dans Óðinn et Óðr, et de « facultés mentales, comme ici. Il n’empêche ! Hœnir donne l’óðr contenu dans le nom des deux autres parrains – d’où Loki appelé LÓÐuRr. Noter que dans la Gylfaginning (chap. 9), les humains sont créés par les fils de Borr (Óðinn, Vili et Vé).
[19] Retour du JE. La völva parle en son nom pour évoquer à nouveau un arbre et les femmes qui l’entourent (str. 2).
[20] Aucune des traductions courantes d’Yggdrasill n’est totalement satisfaisante au regard des terminaisons grammaticales de ses éléments. L’une d’elles fait d’Yggdrasill le « Coursier-du-Terrible », Yggr étant un nom d’Óðinn. Après le Mjötviðr, qui mesurait le destin (str. 2), le nom fait froid dans le dos. Une autre traduction est « Coursier-de-terreur » (ce qui ne vaut pas mieux). Elle renvoie à la pendaison d’Óðinn « sur un arbre venteux » (Hávamál, str. 138).
[21] Sær signifie « lac, mer ». et s’oppose à l’océan. Variante importante : sal « halle ».
[22] Urðr « Advenu «, Verðandi « Advenant » et Skuld « Doit, Dette » sont les régentes du Destin. Leur nom est aussi traduit par « Passé », « Présent » et « Futur ». Avec elles, le temps est un phénomène dynamique qui se mesure de cause à effet. Le présent est un prolongement direct du passé (Urðr et Verðandi dérivent du verbe verða). Cette étymologie suggère que la triade est composée d’une paire (ou d’une entité double) et d’un tiers. L’ultime « dette » est la mort que tout mortel « doit » honorer.
Toutes trois sont beaucoup plus fameuses sous le nom des trois nornes. Elles sont associées à Yggdrasill, comme les neuf íviðjur le sont au Mjötviðr (str. 2). Que la völva ne cite pas ce nom de norne POURRAIT les assimiler aux trois filles de þursar (str. 8).
Skuld est aussi une valkyrie (str. 30).
[23] ELLE remplace le JE et la voix off.
[24] Gullveig « Boisson (forte)-d’or ».
[25] Hárr « Grisonnant » (à ne pas confondre avec Hár « Haut », personnage de la Gylfaginning) est un nom d’Óðinn. La halle est donc la Valhalle.
[26] Heiðr « Brillante », ou « Lande (où pousse la bruyère) ».
[27] JE est donc devenu ELLE comme Gullveig est devenue Heiðr.
[28] « Prophétie plaisante » traduit vel spá, qui pourrait aussi vouloir dire « prophétie juste ».
[29] La völva porte un bâton (le völr). Ici, il s’agit d’un gandr, le bâton du seiðr, magie pratiquée par Heiðr, völva et seiðkona. ELLE utilise un gandr (str. 29) – qui certifie qu’elle est bien Heiðr.
[30] Pour la mort de Gullveig, une compensation légale est demandée aux ases, à moins que tous les dieux soient mis sur un pied d’égalité. Ce que réclame l’ensemble des puissances, ce sont (à mon avis) des libations (de bière ou d’hydromel) en leur honneur. Autrement dit, des « boissons d’or ». Óðinn choisit la guerre.
[31] Envoyer sa lance (attribut d’Óðinn) sur les rangs ennemis était le signal traditionnel d’une bataille pour les Vikings. Un expert suggère que c’était aussi dédier les morts ennemis à Óðinn. Celui-ci recevait, en effet, les guerriers morts au combat. Il suffisait de marquer un guerrier mort dans son lit d’un coup de lance post mortem pour les lui envoyer apparemment.
La palissade des ases cède et les vanes grimpent au ciel. C’est la deuxième phase de la première guerre du monde : celle des ases et des vanes (pour la première fois nommés). Encore faut-il définir la composition exacte des vanes et des puissances.
En principe, les puissances (regin) désignent les dieux (goð) et les dieux désignent les ases et les vanes. Cependant, fluidité et confusion règnent entre les tribus surnaturelles… au moins jusqu’à la première guerre mondiale qui modifie l’ordre établi. La disparition des assemblées des puissances ET du premier refrain de la völva (str. 6, 9, 23, 25) est symptomatique. La liste des nains mélange toutes les tribus surnaturelles masculines (géants, nains, alfes et vanes), SAUF les ases. En conséquence, les puissances siégeant aux destinées AVANT l’armistice rassemblent (à mon avis) TOUTES les tribus surnaturelles. Après la guerre, les géants deviennent les seuls rivaux des dieux. Les vanes et les alfes rejoignent les ases au ciel.
[32] Les ases investissent la Plaine-tournoyante (le ciel) et s’y installent (str. 7). Ils ne manquent pas d’or en disposant des astres (str. 8). La guerre détruit leur enceinte. Les vanes envahissent le ciel.
Un géant-bâtisseur anonyme offre ses services aux dieux (Gylfaginning, chap. 42). Il propose de leur bâtir un fort en trois semestres. Il assure que ni les géants-du-givre, ni les géants-des-montagnes ne pourront le prendre. Pour sa peine, il réclame Freyja, le soleil et la lune. Les dieux exigent qu’il finisse en un hiver (un semestre). Ils lui refusent toute aide humaine, mais il peut utiliser son cheval sur le conseil de Loki. Pour conclure le marché, les dieux font de nombreux serments au géant, inquiet de sa sécurité. Celui-ci craint, en effet, le retour de Þórr, grand pourfendeur de ses congénères.
Trois jours avant l’échéance, il ne manque quasiment que la porte à l’enceinte. Les dieux, inquiets à leur tour, accusent Loki de mauvais conseils. Menacé de mort, Loki se change en jument pour distraire l’étalon. Le géant ne peut finir à temps. De l’escapade de Loki naît Sleipnir, le cheval d’Óðinn. Le géant est écrabouillé par le marteau de Þórr.
[33] Freyja est la femme d’Óðr. Elle a été offerte au géant-bâtisseur d’Ásgarðr. L’air vicié de malice accuse Loki. En effet, Loptr « Air » est un nom alternatif de Loki, aussi surnommé Loki læviss « Loki la Malice » (Sörla þattr, chap. 2).
[34] C’est la seule mention de Þórr par son nom de tout le poème. Þórr arrive toujours en retard aux réunions divines. Il n’a aucun goût pour les magouilles que d’autres nomment subtilités. Il faut dire qu’il a la force (physique) avec lui. C’est pourquoi les dieux l’appellent souvent en renfort pour les sortir d’embarras. Il tue le géant-bâtisseur… sans (se) poser de questions.
[35] Heimdallr, premier dieu cité, intervient enfin dans le récit. La völva (JE) avait déjà glissé subrepticement un hljóð près de lui (str. 1) avant d’évoquer un arbre (str. 2). ELLE prend le relais pour convoquer Heimdallr, un hljóð et un arbre ensemble. À nouveau, Heimdallr précède Óðinn (str. 28).
Heimdallr possède la Gjallarhorn « Corne-résonnante », qui s’ENTEND dans tous les monde (str. 46). En somme, elle est la contrepartie du haut-siège d’Óðinn qui permet de VOIR dans tous les mondes. Comme Óðinn n’a qu’un œil, Heimdallr n’a sans doute qu’une oreille (voire qu’une corne puisqu’il est associé au bélier). Cette mutilation est qualifiante, selon la théorie de Georges Dumézil ↗ (un aveugle y devient un voyant, doué de « seconde vue »). De fait, Heimdallr est l’oreille absolue du panthéon nordique. Son hljóð confond son oreille et sa corne puisqu’il a les acceptions d’« écoute » et de « son ».
« À clarté habitué » (heiðvönum, de heiðvanr), renvoie en douce à Heiðr « Brillante » et aux vanes. Heiðvönum pourrait donc aussi être traduit par « habitué-à-Heiðr ». Or, Heimdallr, l’ase-blanc, est lumineux. Yggdrasill aussi puisqu’il est arrosé de boue-blanche (str. 19). Heiðvönum semble donc superflu… SAUF s’il associe Heimdallr à Heiðr (allitératifs ET lumineux) ET aux vanes.
Que Heimdallr enfouisse son hljóð serait donc la conséquence de la mort de Boisson-d’or et de la guerre. De fait, la Gjallarhorn est aussi une corne à boire. Il suffit de la retourner… comme les cornes de lune.
La corne de lune croissante mène à la pleine lune. La corne décroissante finit par la faire disparaître. Perdre la première corne empêche la lune d’atteindre sa force optimale. Perdre la seconde fait l’inverse.
En perdant une corne, Heimdallr a perdu sa mainmise sur le sacré. A priori, la corne cassée est la décroissante (d’où l’arbre habitué à la lumière auparavant).
Laisser sa corne au pied de l’arbre du monde suggère qu’elle est plongée dans une source. Un simple reflet dans l’eau prouve la vérité de ce mythe – sans truquage ! Sans compter que les Scandinaves avaient la manie de sacrifier des objets cultuels (précieux, mais obsolètes) dans des lacs et tourbières…
Du hljóð, la völva fait couler un fleuve. De la Gjallarhorn « Corne-résonnante » enfouie, Snorri fait couler le fleuve Gjöll « Résonnant », enjambé par le Gjallarbrú « Pont-résonnant » souterrain (qui conduit chez Hel).
[36] « Le Vieux » est Óðinn. C’est le pendant de « la Vieille » (str. 40). Celle-ci est assise dehors, dans la même posture que la völva (ELLE).
[37] Yggjungr ása « l’enfant-terribles des ases » renvoie à Yggr, un nom dÓðinn, et à sa pendaison à l’arbre du monde. -Ungr est moins clair. Ma traduction est spéculative.
[38] La völva est ELLE et devient JE dans la même strophe (elle récidivera une seule fois, MAIS dans un nouveau refrain). ELLE s’adresse à plusieurs personnes (son « vous » n’est pas de courtoisie), tandis que JE s’adresse à une seule.
La source de Mímir mène chez les géants-du-givre. Une racine d’Yggdrasill y trempe. Mímir est plein de sagesse car il boit à la source dans la Gjallarhorn. Óðinn demanda à y boire pour étancher sa soif de savoir, mais dut y laisser son œil en gage (Gylfaginning, chap. 15). À cette occasion, il s’était pendu à l’arbre du monde (Hávamál, str. 138 et 140).
La pendaison d’Óðinn, volontaire ou forcée, a suivi son vol de l’hydromel aux géants. Plus exactement, Óðinn le vola à sa gardienne, Gunnlöð « Invitation-au-combat », séduite et abandonnée. Or, Gullveig et sa « Boisson-d’or » (noter l’allitération avec Gunnlöð) pourait être son autre nom. Toutes deux incarnent, en effet, les aspects typiques de la valkyrie :
- Gunnlöð, celui de la guerrière ;
- Gullveig, celui de la serveuse d’hydromel.
Le bûcher de Gullveig, volontaire ou forcé, semble le pendant féminin de la pendaison d’Óðinn. Si Gullveig est JE, ELLE est son avatar, Heiðr, qu’Óðinn vient tester. Ce n’est pas la première fois qu’Óðinn questionne une völva. Celle-ci n’était pas assise dehors, telle une völva qui convoque les esprits sur un tertre, mais reposait dans sa tombe anonyme. Les questions d’Óðinn portaient sur la mort de Baldr (Baldrs draumar). Or, Baldr est évoqué juste après (str. 31). C’est la connaissance qu’ELLE a du futur qu’Óðinn teste. Dieu des magiciens, Óðinn peut regarder la magicienne dans les yeux sans risque et affirmer son pouvoir sur elle. Cependant, ELLE s’adresse au « Vieux » dans la posture exacte de la Vieille (str. 40), sur laquelle Óðinn n’a aucun contrôle – c’est la mère des fils de Fenrir, qui le tuera.
Mímir « Mémoire » est lui aussi défunt. Il ne reste que sa tête dans la source. Ce qui ne l’empêche ni de boire, ni de bavarder. Il buvait dans la corne de Heimdallr (littéralement). Il boit maintenant dans l’œil d’Óðinn (symboliquement ?). En tout cas, il ne conseille plus que lui. L’œil d’Óðinn a donc ici la même fonction que l’oreille de Heimdallr.
[39] Le Père-des-armées (Herföðr) est Óðinn. Ce titre précède l’arrivée des valkyries (str. 30.). On ne sait trop quels services lui fournit la nouvelle völva, mais qu’ils soient guerriers ne fait aucun doute. Avec elle, Óðinn va pouvoir s’adonner à son autre passion : la guerre et les conflits en tout genres.
[40] Les valkyries sont « celles qui choisissent les guerriers occis ». Valr « guerriers occis » se retrouve dans Valhalle… et suggère que les valkyries étaient ses anciennes propriétaires. Cela d’autant plus que Freyja est la première des valkyries et reçoit la première moitié des guerriers-occis. Noter que völr « bâton de völva » est un paronyme.
Le nom des valkyries révèle qu’elles ne sont pas que des guerrières, charognardes sur les bords. Skuld, vierge-au-bouclier, est aussi la dernière des nornes (str. 20). Elle se joint à Gunnr « Combat » (comme dans GUNNlöð) et Hildr « Bataille ». Elle se joint aussi à Göndull, dont le nom dérive de gandr, le bâton (magique) du seiðr. Les valkyries sont des magiciennes.
[41] Les valkyries sont les dames (nönnor) du Seigneur-de-la-guerre, un nom d’Óðinn. Les appeler nönnor renvoie (au sing.) à Nanna, la femme de Baldr. La völva annonce qu’une autre guerre va avoir lieu puisque les valkyries s’apprêtent.
La cause du Ragnarök ne sera pas la mort d’une femme, mais celle d’un dieu (Baldr). Cependant, son épouse (Nanna), mourra de chagrin et rejoindra Baldr sur son bûcher funéraire. Bref, elle brûlera – comme Gullveig.
Les valkyries vont cueillir les occis sur les champs de bataille. Présentement, elles viennent chercher Baldr (le mot nönnor est significatif). Óðinn, Seigneur-de-la-Guerre et le Père-des-armées, a fomenté la guerre.
[42] ELLE redevient JE. Le Rameau-de-gui (Mistilteinn) est le troisième et dernier arbre du poème. JE a évoqué le Mjötviðr (str. 2) et Yggdrasill (str. 19), et reprend la parole pour le Mistilteinn allitératif avec Mjötviðr « Arbre-mesureur (de destin) ».
[43] Ce frère de Baldr (et Höðr) est Váli, fils de Rindr, la « Terre » violée par Óðinn.
[44] L’ennemi de Baldr est son frère meurtrier, Höðr.
[45] La narratrice oppose Fensalir « Halles-du-marais », la halle de Frigg (mère de Baldr) à la Valhalle d’Óðinn, où leur fils n’est pas admis. La raison officielle est que Baldr n’est pas mort au combat.
[46] Cette demi-strophe se trouve seulement dans un manuscrit. Ainsi le nom de Váli n’est-il pas toujours précisé. Dans l’autre manuscrit, Váli est une correction (nécessaire) de vala… qui le rapproche de valr « guerriers occis ». De plus, Loki a aussi un fils appelé Váli.
Ce Váli-là est le fils d’Óðinn… et pourtant, ici, il se confond presque au fils de Loki. Les dieux transformèrent celui-ci en loup. Il dévora alors son frère et les dieux firent de ses boyaux un lien pour ligoter Loki selon Snorri. En somme, Váli cache Fenrir et les restes de son frère sont le serpent du Miðgarðr, les fils zoomorphes de Loki.
[47] Le Bosquet-des-chaudrons (Hveralundr)) est l’arbre du monde aux trois sources. La völva ne mentionne pas la troisième source d’Yggdrasill : Hvergelmir, le « Chaudron-bouillonnant » (Gylfaginning chap. 15).
[48] Loki est le maître de la métamorphose. Sa « forme perfide » suggère qu’il a pris une forme animale (il avait celle d’un saumon lors de sa capture). Comme son fils, le loup Fenrir, est déjà ficelé, on peut se demander s’il n’a pas une peau de loup. En tout cas, Skaði place au-dessus de sa tête un serpent venimeux qui le vitriole à chaque goutte tombée sur lui, malgré Sigyn. Celle-ci tient un bol entre le serpent et lui. Le temps qu’elle le vide, le poison tombe sur Loki. Sigyn est donc «peu ravie pour le bien de son mari ». Il y a peut-être autre chose. Nul ne sait comment Loki ou Fenrir vont se libérer. Or, si Loki était métamorphosé en loup, le serpent lui servirait de bride. Il ressemblerait au loup harnaché d’une vipère de la femme-tröll Hyrrokkin « Ratatinée-par-le-feu » (telle Gullveig et Nanna) venue assister aux funérailles de Baldr.
[49] C’est le seul rôle mythique de Sigyn « Amie ou Amante-de-la-victoire ».
[50] La völva ne fait que suggérer le serpent que Skaði place au-dessus de Loki ligoté. En revanche, elle arrose généreusement son récit de venin. Slíðr « Cruel » est l’un des onze fleuves qui forment les Élivágar « Vagues-tumultueuses », ou océn primordial. Ceux-ci ont coulé dans Hvergelmir au commencement du monde.
[51] Sindri vient de sindr « faire des étincelles ». Sindri habite Niðavellir, les « Plaines-sans-lune ». Associé au feu et au ciel noir, ce serait donc un nain forgeron. Il est apparié à Brimir, aussi lié au nain Bláinn « Bleu-noir » (str. 9).
[52] Brimir est à nouveau apparié à un nain. Il habite Ókólnir « Jamais-refroidie » et est encore lié à la mer. Au reste, sa halle à bière fait penser à celle d’Ægir, le géant de la mer. Je rappelle que Brimir est censé être une partie d’Ymir, le géant primordial.
Sindri et Brimir semblent incarner le ciel et la mer du monde souterrain. Or, le feu et l’eau sont aussi les destructeurs du monde.
[53] Náströnd, les « Rives-des-morts »
[54] L’oreille-intime est la confidente et, partant, l’amante, ou plutôt l’épouse. Dans ce lieu sinistre, ne sont rassemblés que des criminels (parjures, séducteurs et meurtriers), des vargar, c’est-à-dire des hors-la-loi assimilés à des « loups ». Le hors-la-loi était un skógarmaðr « homme-de-la-forêt ». Il était condamné à l’exil (un exil temporaire de trois ans, ou un exil définitif auquel peu survivaient). Bref, il était relégué dans le monde sauvage des loups, hors de la société humaine.
[55] Le serpent fossoyeur Níðhöggr « Frappe-dans-l’ombre ». Il suce les cadavres et les nettoie de leur chair putride. Il laisse donc les os que le loup ronge (les loups d’Óðinn ont le même rôle, mais leurs mets sont plus raffinés car ils ne se nourrissent que des guerriers-occis). Sont réunis le serpent et le loup dans la même strophe.
[56] La Vieille complète le loup et le serpent de la strophe précédente et reforme la triade des monstres mythiques (Hel, Fenrir, le serpent). Elle habite Járnsviðr, la « Forêt-de-fer », domaine des femmes-trölls et de leur monture-loup. Il est justement expliqué ici, noir sur blanc, ce qu’est un tröll : c’est un loup.
La mère de Fenrir est Angrboða « (Ap)Porteuse-de-tristesse », l’amante de Loki (Gylfaginning, chap. 34 ; Hyndluljóð, str. 40). Elle n’est pas mentionnée par la völva, qui reprend ici sa voix off et son récit chronologique. Noter que la Vieille a pu être jeune dans une strophe précédente.
Angrboða serait une völva. Du moins, Óðinn a sorti une völva de sa tombe, à l’EST de la halle de Hel, pour déchiffrer les cauchemars de Baldr. Bien que cette völva soit anonyme, il a pour ainsi dire désigné Angrboða en révélant qu’elle est mère de trois þursar – a priori, les trois monstres mythiques.
La Vieille a la même posture que la völva (str. 28), MAIS aussi que Sigyn, assise auprès de Loki enchaîné (str. 35). Sigyn « Amie-de-la-victoire» et Angrboða « (Ap)Porteuse-de-tristesse » pourraient être les deux faces d’une seule figure. Il est en tout cas une dame toujours victorieuse et qui apporte (presque) toujours la tristesse : Hel.
La Vieille s’oppose au Vieux (str. 28) – à Óðinn. Elle pourrait être son véritable adversaire. Après tout, trois géantes ont déjà interrompu les loisirs des dieux (str. 8).
[57] Kenningr : le ciel.
La strophe précédente annonce qu’un fils de Fenrir gobera la lune. Celle-ci est avalée par le Mánagarmr « Chien-de-la-lune » qui se repaît des morts et éclabousse le ciel de sang (Gylfaginning, chap. 12). Sans lune, le temps (dans ses deux acceptions) se détraque. Le soleil s’assombrit et un long hiver commence. Fimbulvetr « Hiver-formidable » est un nom du Ragnarök (Vafþrúðnismál, str. 44).
[58] Eggþérr est le gardien du troupeau de la Vieille (str. 40) – donc des loups. Troupe et troupeau ont la même racine et ces loups sont des guerriers en puissance. Eggþérr est le seul musicien mythique avec Heimdallr.
Eggþérr n’a pas d’autre engagement mythique. Il porte le même nom qu’Ecgþéow, père de Beowulf « Loup-de-l’abeille », héros du poème éponyme en vieil anglais. Le nom d’Eggþérr est ardu à traduire. Il POURRAIT venir d’egg « (un) tranchant » (heiti courant pour « épée ») et se traduire par « Gardien-de-l’épée » (selon Claude Lecouteux et Régis Boyer) ou par « Serviteur-de-l’épée ». Bientôt, une épée resplendissante va être brandie par Surtr (str. 52). Une autre, brandie par Víðarr, transpercera le loup Fenrir (str. 55).
[59] Fjalarr « Trompeur » est un nom mythique assez répandu (de nain et de géant). Parmi d’autres, le nain Fjallar a concocté l’hydromel avec son frère Galarr, dérivé de gala « crier (comme un coq) », racine du galdr « chant incantatoire ». Le coq Fjallar est d’un beau rouge clair (fagrrauðr), opposé au rouge foncé du coq de Hel, mais il n’est sûrement pas fiable.
[60] Kenningr : Óðinn.
[61] Deux coqs sont de service au Ragnarök :
- Gullinkambi « Peigne-doré ». Il éveille les guerriers-occis de la Valhalle.
- Le coq sans nom de Hel est sótrauðr, littéralement « rouge-de-suie ».
[62] Garmr « Chien » est le « meilleur des chiens » (Grímnismál, str. 44). Malgré la quadruple répétition de cette strophe (qui souligne son importance), la chaîne ne rompra pas – du moins, pas avant la fin des combats. Garmr est un fils de Fenrir puisque tous les canidés viennent de lui. Il est chien tant qu’il reste attaché, mais sa chaîne va rompre. Garmr est voué à redevenir loup. Il est possible que Garmr soit l’avaleur de la lune (str. 40 et 41), mis hors d’état de nuire, ou apprivoisé par les dieux.
ELLE et JE se distinguent enfin. ELLE connaît tout du passé et JE, du futur. Elles se rencontrent ensemble uniquement dans ce refrain (str. 49, 54, 58) ET dans la strophe sur l’œil d’Óðinn (str. 28).
[63] Vorace (freki) renvoie à l’un des loups d’Óðinn et l’associe à Garmr. Le jeu allitératif aidant, il est aisé d’assimiler Geri « Goulu », le second loup d’Óðinn, à Fenrir.
[64] L’Histoire fournit une multitude d’exemples à cette description sinistre (les grandes migrations, la période viking, etc.) jusqu’à aujourd’hui. Entre parenthèses, les tableaux du poète sont un concentré si saisissant et réaliste qu’on peut se demander qui il était et ce qu’il a vécu. Cela étant, la völva décrit seulement le conflit mythique mortel entre les géants et les dieux provoqué par la mort de Baldr.
[65] La mesure-de-destin (mjötuðr) est le temps de vie alloué à chacun. Elle renvoie directement au Mjötviðr (str 2), qui flambe ici. Pour Snorri, cet incendie ravage l’arc-en-ciel gardé par Heimdallr.
Le géant Surtr brandit une épée de flammes au Ragnarök (str. 52 ; Gylfaginning, chap. 4), qui pourrait bien être le Mjötviðr. Snorri précise, en effet, que Surtr incendie le monde – autrement dit l’ARBRE du monde.
[66] Corne-résonnante (Gjallarhorn) est la corne de Heimdallr. Horn « corne » et hani « coq » ont la même fonction.
Heimdallr souffle dans sa corne tandis qu’Óðinn parle avec Mímir… qui boit chaque matin dans la corne de Heimdallr.
[67] Loki est captif sous le Bosquet-des-chaudrons (str. 35), c’est-à-dire sous Yggdrasill et ses sources. Cela étant, Loki n’est pas un géant à proprement parler.
Pour moi, le géant libéré pourrait aussi être Ymir. C’est ce qu’insinue le verbe ymr « gémir », d’où dérive le nom d’Ymir pour Jacob Grimm ↗. Loki se retrouve pilote de navire (str. 51). Il vient de l’est, comme le géant Hymir (str. 50). Or, Hrymr contient ymr dans son nom.
[67a] Cette demi-strophe entre crochets n’apparaît que dans un manuscrit. Les routes de Hel sont celles qui mènent à la mort. On comprend l’épouvante de ceux qui l’empruntent. « Parent de Surtr » est une kenningr pour le feu. Yggdrasill est donc le personnage ingurgité (selon Sigurður Nordal cité par Terry Gunnel). De fait, Surtr incendie le monde – donc son arbre (Gylfaginning, chap. 51) – au cours du Ragnarök.
[68] Les géants sortent de leurs repaires et fondent sur l’Ásgarðr. Le géant Hrymr, à l’avant-garde, est inconnu ailleurs. Il vient de l’est où va souvent Þórr, dont Rymr est un des noms. Passons. Hrymr est à mon avis le nouvel Ymir (il contient ymr dans son nom). Il est, au reste, accompagné par les hrímþursar « géants-du-givre » dans la Gylfaginning (chap. 51). Or, Ymir est un géant du givre, né dans le Ginnungagap rempli des fleuves Élivágar gelés. De plus, Hrymr est accompagné du serpent et de l’aigle, les deux embouts de l’arbre du monde, sous lequel Ymir était prisonnier.
[69] Jömungandr « Grand-Bâton (magique) » est le serpent du Miðgarðr. Il se confond ici avec Níðhöggr, le serpent rongeur d’une racine de l’arbre du monde (celle qui mène au Ginnungagap). C’est pourquoi un aigle, appelé Bec-pâle (Neffölr) l’accompagne. Aigle et serpent, embouts d’Yggdrasill, se retrouveront soudés en un dragon (str. 66).
L’aigle est aussi appelé Niðfölr dans un manuscrit et dans la Gylfaginning, de nið « lune décroissante ». Comme l’aigle est le fournisseur du vent mythique, donc une émanation du ciel, il n’est pas étonnant que son bec soit assimilé à une corne lunaire. Snorri perche le faucon Veðrfölnir « Blanchi au vent » ou « Pâli par la tempête » entre les yeux de l’aigle au sommet d’Yggdrasill (Gylfaginning, chap. 16).
[70] Naglfar(i), le navire des morts, est assimilé ici au serpent (allitératif) Níðhöggr.
[71] À l’est, où se lèvent les astres, habite la Vieille de la Forêt-de-fer (str. 40). Snorri fait de Múspell la fournaise originelle gardée par le géant Surtr. Tous les corps célestes (ou presque) en proviennent. Muspell est ici un géant qui dispose d’un équipage. Loki dirige le navire. Snorri fait des gens de Muspell des compagnons de Hel, fille de Loki.
[72] Le vorace (Freki) est un loup. Le serpent et l’aigle œuvraient à la strophe précédente. Ici, le loup est en action.
[73] Kenningr : Loki – mentionné donc deux fois dans la même strophe.
[74] Kenningr : le feu. Surtr est le troisième et dernier géant en chef, après Hrymr et Muspell.
[75] Hlín est une suivante de Frigg.
[76] « Le meurtier de Beli » est une kenningr désignant Freyr. Beli est un géant que Freyr a tué avec un bois de cerf.
[77] Cette strophe est simplement remarquable ! Hlín est ici Frigg… et Frigg s’apparente à Freyja (dont le nom est absent du poème). En général, Freyja pleure Óðr, son mari absent. Ici, Frigg pleure Óðinn, MAIS est appelée Hlín. Deux combats se suivent, ou se superposent (Óðinn contre Fenrir et Freyr contre Surtr). Noter que Fenrir n’est pas nommé. L’amour de Frigg périt. Seulement… ce constat est fait APRÈS la mort de Freyr (pas celle d’Óðinn).
Hlín s’occupe de PROTÉGER les favoris de Frigg. Que Frigg, capable de commander à toutes les créatures, soit appelée Hlín à ce moment précis est sacrément équivoque. Hlín suggère que la mort d’Óðinn aurait pu être évitée… si Frigg l’avait voulu. Le « second chagrin » de Frigg renvoie (forcément !) à son premier : la mort de Baldr.
Frigg pleure, seulement… C’est parce qu’un seul individu n’a pas pleuré la mort de Baldr qu’elle n’a pas pu le libérer de chez Hel (Gylfaginning, chap. 49). Noter qu’à aucun moment elle ne réclame vengeance et la mort de son meurtrier. Loki a été accusé d’être l’individu déguisé en vieille géante qui refusa de pleurer Baldr, mais ce n’est pas (du tout) prouvé.
Un seul autre individu a la faculté de se changer en femme : Óðinn (Þórr se travestit contre son gré). Il se travestit pour séduire Rindr et concevoir le vengeur de Baldr. Si Loki n’était pas la géante, ce ne pourrait être qu’Óðinn. À partir de là, se comprend pourquoi Frigg ne protège pas son mari… mais qu’elle le pleure (quand même).
Frigg exerce une double vengeance sur Óðinn pour la mort de Baldr. Elle a déjà défié son mari par le passé et leurs rapports conjugaux semblent avoir été compliqués. De plus, on ne sait rien de leurs noces (Óðinn a la fâcheuse manie de duper ses partenaires sexuelles). Pour finir, noter qu’en utilisant Hlín pour désigner Frigg, la völva la dédouble… comme elle s’est dédoublée elle-même en JE et ELLE.
Tout ceci n’est, bien entendu, que mon interprétation.
[78] Le Père-de-la-victoire est Óðinn. Le fils du Père-de-la-victoire est (ici) Víðarr.
[79] Pas de traduction certaine à hveðrungr, qui désigne Loki. Il me semble pourtant qu’il s’oppose au Yggjungr (str. 28), c’est-à-dire à Óðinn.
[80] Hlöðyn est un autre nom de Jörð « Terre », la mère de Þórr. Idem Fjörgyn au vers 9. Bien que tout le monde sache qu’il est fils de Hlöðyn et de Fjörgyn, Þórr n’est pas nommé. Sa mère est donc dédoublée, telle la völva ET Frigg. Noter que Hlöðyn ET Fjörgynn ont les mêmes initiales que Hlín ET Frigg. En prime, Fjörgyn est la mère de Þórr, MAIS Fjörgynn est le père de Frigg. En raccourci est suggéré que Þórr EST le frère ou le fils de Frigg (il est bien censé être celui d’Óðinn). Frigg, à laquelle toute la création obéit est sans doute une autre émanation de la terre.
[81] Kenningr : Þórr.
Les trois grands dieux sont morts et deux monstres mythiques avec, en plus de Surtr. Le Destin-des-puissances est réalisé en trois coups nets. Efficaces et économes. Et pourtant, il manque quelque chose. Qu’en est-il de Hrymr (str. 50) ?, qu’en est-il de Loki (str. 51) ?, pour paraphraser la völva. Rien n’est dit de leur destin. Il n’y a, à mon avis, qu’une réponse. Hrymr et Loki ont pris d’autres formes.
[82] La scène ressemble à une éruption volcanique. La terre, la mer et le feu du ciel se fondent ensemble… comme dans un creuset ou une forge. Ou la fermentation d’un breuvage. La destruction est le prélude d’une re-création.
[83] Le monde mythique s’est désintégré et renaît purifié, en une scène bucolique. La terre (jörð) et l’océan (ægir) sont personnifiés avec Jörð et Ægir, tels un couple primordial. La terre verdoie… telle l’arbre du monde, toujours vert (str. 19). Les cascades ont dégelé et le printemps revient après l’hiver.
Noter que poisson est un heiti courant pour serpent. Le serpent du Miðgarðr et Níðhöggr participent au Ragnarök.
[84] La Plaine-tournoyante est celle-où les dieux jouaient au tafl avant d’être interrompus (str. 8).
[85] Kenningr : le serpent du Miðgarðr.
[86] Le dieu associé aux runes est Óðinn.
[87] Hroptr « Lieur » est un nom d’Óðinn.
[88] Le rameau que l’officiant avait trempé dans le sang des sacrifices et dont il éclaboussait les fidèles et le temple. Les éclaboussures servaient aux prédictions. Hlautvið kiósa « rameau-de-sacrifice » dérive d’ailleurs de hljóta « tirer au sort ».
[89] Le Monde-du-vent est le ciel. Les fils des deux frères ne sont pas faciles à repérer. Baldr et Höðr sont frères. Le Destin-des-puissances ramène les (faux) jumeaux mythiques à la vie, ou les épargne (tels Víðarr et Váli ; Magni et Móði). Il apparaît donc que ce destin a été scellé par la mort d’Ymir « Double, Jumeau » autant que par celle de Baldr et Höðr.
Hœnir est le seul dieu rescapé de la première génération. C’est aussi le seul sans frère. Il avait pourtant un partenaire dans Mímir. Celui-ci est décédé de longue date, mais sa tête est bien vivante.
[90] Cette autorité énigmatique, conforme à la vision chrétienne d’un dieu unique, cache (aussi ?) un dieu païen. Qu’il vienne du ciel le dénonce. La völva a martelé quatre fois que la chaïne de Garmr allait rompre. Il fallait donc que cela arrive ! Attaché à la Caverne-du-pinacle (Gnipahellir), personne ne pouvait être logé plus haut. Un dieu est justement logé aux Himinbjörg « Monts ou Rocs-du-ciel », au bout de l’arc-en-ciel… comme au bout d’une laisse : Heimdallr, qui partage les sens aiguisés du loup.
Que la völva taise le destin de Heimdallr est ASSEZ suspect. Snorri le fait s’entretuer avec Loki (Gylfaginning, str. 51). Il affirme aussi que le pont Bifröst casse… comme la chaîne de Garmr. Garder ce pont a d’ailleurs été une déchéance pour Heimdallr, selon Loki (Lokasenna, str. 48). Depuis qu’il a sonné de la Gjallarhorn, Heimdallr n’a pas réapparu. Garmr a avalé la lune – autrement dit, Heimdallr a récupéré sa corne (de lune). Il faut croire qu’il n’a pas cessé de « corner » de tout le combat – d’aboyer. Heimdallr recouvre son ancienne place d’autorité suprême au terme du Ragnarök et son titre de Père-de-tous. Un dernier indice de l’identité de Garmr, le meilleur des chiens, est donné par la double allitération de Gnipa-Hellir et de Gjallar-Horn.
Si Heimdallr a quelque chose de Mímir (comme je le crois : la corne partagée est un indice), alors Hœnir n’est pas le seul dieu immortel. De même que Höðr fut responsable de la mort de Baldr, Hœnir fut responsable de celle de Mímir ; de même que Baldr et Höðr, Mímir et Hœnir survivent au Ragnarök. Une autre partie de tafl peut commencer.
[91] Les deux dernières strophes reprennent les deux premières. En quelque sorte. La première évoque Heimdallr, père de tous sauf de nom, et l’avant-dernière en fait l’autorité suprême. La deuxième évoque un arbre et la dernière, les deux animaux qui se tiennent à chaque bout de l’arbre du monde.
Ainsi s’achève le discours de la völva qui n’aspire plus qu’à sombrer dans le duvet douillet du temps (cyclique) éternel. Son ultime vision fait écho à la scène bucolique du renouveau (str. 59) et de l’aigle qui chasse les poissons. Il semblerait qu’il en ait attrapé un – et un gros. Cette fois, c’est une – très belle – scène d’épouvante. Le dragon scintillant plane dans le ciel nocturne transportant les cadavres dans un silence total. Enfin… son scintillement fait penser à la Voie lactée qui s’étire, telle une ombre pâle sur le noir de la nuit avec sa cargaison d’étoiles avant de s’évanouir dans la lumière du jour. Alors, ce serpent fossoyeur effroyable ne manque pas de panache au final.