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Tisserande de nuages
Embarquez pour les mythes nordiques

Mímir ou la Mémoire morte

Sa tête bavarde est tout ce qui reste de ce géant ou dieu si savant qu’Óðinn l’a gardée pour le conseiller
Odin à la source de sagesse, illustration de Robert Engels (1866-1920) pour Deutsche Götter- und Heldensagen [p. 44] d’Adolf Lange, B.G. Teubner, Leipzig (1903). Source : domaine public, via Wikimedia commons ↗

La mort prématurée de la Mémoire (Mímir) empêche de vraiment savoir qui était ce personnage compté parmi les dieux ET les géants (Þulur).

Mímir a donné son nom à une source de l’arbre du monde (Mímisbrunnr « Source-de-Mímir »). Il l’a aussi donné à l’arbre du domaine de Menglöð, le Mímameiðr « Arbre-de-Mímir » (Fjölsvinnsmál, str. 23). Son nom apparaît dans HoddMímir « Trésor-de-Mímir » (Vafþrúðnismál, str. 45). Celui-ci protégea dans son bosquet la dernière paire d’humains au Ragnarök. Le nom de Mímir apparaît aussi dans SökkMímir « Mímir-englouti » (Grímnismál, str. 50). Ce vieux géant, tué par Óðinn, était le fils fameux de Miðvitnir « Loup-du-milieu » (d’illustres inconnus). Mímir est aussi suggéré dans Muninn (de muna « se souvenir »), un des deux corbeaux d’Óðinn. Bref, Mímir est partout. Et pourtant, il ne reste que sa tête, la tête de Mímr.

La source de Mímir et la tête de Mím(i)r

Snorri évoque deux fois Mímir. Il situe sa source sur l’ancien Ginnungagap, d’où sortit Ymir (Gylfaginning, chap. 15) :

Mais sous cette racine [d’Yggdrasill], qui va vers les géants-du-givre, se trouve la source de Mímir, qui abrite la sagesse et l’entendement. Il s’appelle Mímir celui qui possède la source. Il est plein de sagesse, car il boit à la source avec la Gjallarhorn. Là, vint Alföðr « Père-de-tous » et demanda à boire une gorgée de la source, mais il ne l’obtint pas avant d’avoir mis un œil en gage. Ainsi est-il dit dans la Völuspá (str. 28) :
« Je sais tout, Óðinn,
Où tu as caché ton œil :
Dans la renommée
Source de Mímir.
Mímir boit l'hydromel
Chaque matin
Du gage du Père-des-occis  ».
Comprenez-vous toujours – et quoi ? »

Au début du Ragnarök, Óðinn sollicite à nouveau Mímir (Gylfaginning chap. 51) :

Mais quand ces événements se produiront, alors Heimdallr se lèvera et soufflera avec ardeur dans la Gjallarhorn et éveillera tous les dieux, et ceux-ci tiendront assemblée ensemble. Alors, Óðinn chevauchera vers la source de Mímir et prendra conseil auprès de Mímir pour lui-même et sa troupe. Alors tremblera le frêne Yggdrasill et rien ne sera sans terreur en cet instant dans le ciel ou sur terre.

Snorri associe à chaque fois Mímir à la Gjallarhorn de Heimdallr, à Óðinn et à Yggdrasill. C’est aussi ce que fait la voyante de la Völuspá, str. 28 (Heimdallr et sa corne sont évoqués str. 27). Les «  fils de Mímr » dansent quand Heimdallr joue du clairon (Völuspá, str. 46). Difficile de dire si ces fils sont des géants, des dieux, ou des hommes – pas sans en savoir plus sur Mímir (et encore !).

Mímir et Hœnir otages des vanes

L’histoire de la tête de Mímir se trouve dans l’Ynglinga saga (chap. 4), attribuée à Snorri. Les dieux, devenus fondateurs d’une lignée dynastique suédoise légendaire, y sont évhémérisés (humanisés). Après la guerre des vanes et des ases, les deux camps scellent leur paix par un échange d’otages. Les vanes échangent Njörðr et Freyr contre les ases Hœnir et le sage Mímir. Les vanes envoient alors aux ases en supplément (et bizarrement) Kvasir, leur plus grand sage. L’ase Mímir est donc censé remplacer le vane Kvasir chez les vanes (et vice versa).

Hœnir est élu chef des vanes pour sa prestance. Comme il est incapable de rien décider sans Mímir, les vanes se sentent floués. Ils décapitent Mímir (la logique m’échappe) et envoient sa tête à Óðinn. Celui-ci la préserve par magie. La tête de Mímr continue de boire de l’hydromel dans la corne de Heimdallr et de conseiller Óðinn.

Mímir et Hœnir

A priori, Hœnir n’a rien à voir avec Mímir – à part sa mort. En creusant, pourtant, on s’aperçoit qu’il donne l’óðr au premier couple humain (Völuspá, str 18). Si l’óðr est la « fureur » que procure l’hydromel (du chaudron Óðrerir « Stimulateur-de-fureur »), il a AUSSI le sens de « facultés intellectuelles ». C’est bien ces dernières que Hœnir offre aux humains. Hœnir et Mímir allient donc l’intelligence à la mémoire. De fait, l’intelligence est inopérante sans la mémoire (le docteur Alzheimer ne me contredira pas).

Mímir mort, Hœnir rentre a priori au bercail des ases comme si de rien n’était. On remarque seulement que ses facultés mentales sont altérées (on peut parler de mutilation qualifiante, à la Georges Dumézil ↗). Heureusement, il en a nanti les humains AVANT la guerre des ases et des vanes (Völuspá, str 21).

Mímir et Muninn

Hœnir et Mímir ont clairement pour alter ego Huginn et Muninn (noter la double allitération des noms). Les deux corbeaux d’Óðinn cavalent de par le monde en quête de nouvelles pour leur maître, mais (Grímnismál, str. 20) :

« Je redoute que Huginn
Point ne revienne,
Quoique pour Muninn plus je craigne. »

Le fait est que Mímir n’est pas revenu ENTIER de chez les vanes.

Mímir, Kvasir et l’hydromel de poésie

Kvasir n’a rien de subsidiaire dans l’Edda de Snorri. Il n’est même pas otage. La paix entre les ases et les vanes y est scellée par un crachat collectif des dieux dans une cuve (Skáldskaparmál, chap. 1). De cette salive naît Kvasir. Son origine et ses voyages font de lui un tel sage qu’il a réponse à tout. Il est surnommé « le plus sage des ases ». Cela ne l’empêche pas de se faire trucider par deux nains pour concocter l’hydromel. Les deux zozos mêlent le sang de Kvasir à du miel doré [1] dans deux cuves et la bouilloire Óðrerir. Kvasir n’est rien de moins que l’ingrédient majeur de l’hydromel.

Kvasir finit ainsi dans Óðrerir, le chaudron d’hydromel de poésie. En somme, son destin est comparable à celui de Mímir, dont la tête finit dans la source qui porte son nom. Dans un poème tardif, Mímir personnifie même Óðrerir (Hrafnagaldur Óðins, str. 2). Il y a, toutefois, une différence essentielle entre Mímir et Kvasir :

Mímir vient du ciel, mais Kvasir, de la mer. (Mon) Explication :

Mímir et Bölþorn

Bölþorn « Épine-de-malchance » est le père de Bestla, la mère d'Óðinn (Gylfaginning, chap. 6). C’est également le père d’un « fils fameux » non identifié. Celui-ci est le mentor de l’initiation d’Óðinn pendu à un arbre. Il lui enseigne neuf chants magiques et Óðinn peut alors boire l’hydromel d’Óðrerir (Hávamál, str. 140) – la source de Mímir (selon toutes probabilités). Des experts (depuis Sijmons et Gering en 1927) ont émis l’hypothèse que ce fils fameux de Bölþorn était Mímir.


Notes

[1] Rouge (tel le sang) et or (tel le miel) sont précisément les couleurs du collier et des larmes de Freyja.