Hymiskviða « Lai de Hymir »
Nouvelle traduction PARTIELLE du 7e poème de l’Edda poétique
(xiiie siècle, auteur anonyme)
Le poème a 39 strophes. Voici ma traduction des 30 premières et des 3 dernières (pour le moment). Le texte apparaît dans deux manuscrits (l’Edda poétique et le manuscrit AM 748 I 4to du xive siècle), sans doute issus d’un original commun perdu.
Le mythe de la pêche au serpent de Þórr est ancien (ixe siècle minimum), comme le prouvent diverses allusions scaldiques et plusieurs pierres runiques. La version en prose de Snorri est assez différente du poème (Gylfaginning, chap. 48).
Lien vers le texte en langue originale heimskringla.no ↗
- Jadis, les dieux-des-occis
Prirent une proie
Et voulurent boire
Avant de se rassasier.
Ils secouèrent les rameaux
Et scrutèrent le sang sacrificiel ;
Ils trouvèrent chez Ægir
Profusion de marmites. - L’hôte-des-falaises était assis
Heureux comme un enfant,
Tout pareil au fils de Miskorblindi [1].
L’enfant d’Yggr
Le regarda dans les yeux
Avec dépit :
« Tu dois faire aux ases
Fréquentes fêtes à boire. » - L’homme aux mots-contrariants
Donnait du labeur au géant,
Qui chercha à se venger
Des dieux.
Il pria l’époux de Sif
De lui apporter un chaudron
« Assez vaste pour que je brasse
La bière pour vous tous. » - Ne purent, les dieux glorieux
Ni les suprêmes puissances,
En trouver nulle part,
Jusqu’à ce que le loyal
Týr, à Hlórriði
Seul, donnât
Avis amical. - « Vit à l’est
Des Élivágar
Le très-sage Hymir
Au bout du ciel ;
Mon père cruel,
Possède une bouilloire,
Un vaste chaudron,
D’une lieue profond. » - [Þórr dit:]
« Sais-tu si nous pouvons obtenir
Ce bouilleur-de-liquide ? »
[Týr dit:]
« Si nous usons
De ruse, l’ami. » - Allèrent loin
D’Ásgarðr,
Ce jour-là,
Jusque chez Egill,
Qui prit soin des boucs [2]
Aux nobles-cornes ;
S’en allèrent à la halle,
Qu’avait Hymir. - Le fils rencontra la mère-grand,
Qui lui était très répugnante ;
Des têtes, en avait
Neuf cents [3],
Mais une autre s’avança,
Toute-dorée,
Le front-blanc [4], pour servir
La bière au fils. - [La concubine dit :]
« Descendants des géants,
Je veux tous deux,
Pleins de courage,
Sous les chaudrons vous cacher,
Car mon mari,
Maintes fois
Mesquin envers les invités,
A méchante humeur. » - Le faiseur-de-méfait,
Le despotique Hymir,
Chez lui, rentra tard
De la chasse.
Entra dans la halle,
Cliqueta la glace [5] :
Le vieillard avait
La forêt-des-joues gelée. - [La concubine dit :]
« Salut à toi, Hymir,
Sois de bonne humeur !
Le fils est venu
En tes halles,
Que tous deux attendons
D’un long voyage ;
L’accompagne
L’adversaire de Hróðr,
L’ami des humains
Celui qu’on nomme Véurr. - Tu vois où ils sont assis,
Sous le pignon de la halle,
Et se protègent
Du pilier érigé devant. »
Le pilier cassa net
Sous le regard du géant,
Mais la contre-traverse
Se brisa en deux juste avant. - Huit marmites en tombèrent,
Mais l’une d’elles,
Une cuve fortement-martelée,
Resta entière.
Ils s’avancèrent,
Et l’ancien géant
Scruta
Son adversaire. - Il ne se sentait pas
D’humeur
En voyant là
L’artisan-des-pleurs-de-la-géante
Sur le plancher.
Furent alors pris trois taureaux,
Que le géant ordonna
De faire bouillir aussitôt. -
Chacun d’eux
Fut raccourci de la tête
Et à la fosse à feu
Apportés ensuite.
Le mari de Sif,
Avant d’aller dormir,
Mangea à lui seul
Deux des bœufs de Hymir. -
L’appétit de Hlorriði
Apparut,
Plutôt très solide.
À l’ami de Hrungnir,
« Il faudra
Pour un autre souper
Avec du gibier
Nous trois se sustenter. »
- Véurr dit vouloir
Ramer sur les vagues
Si le géant coriace
Lui donnait un appât.
[Hymir dit:]
« Va jusqu’au troupeau,
Si tu veux vraiment,
Destructeur de Danois-des-rocs,
Trouver un appât. » -
« Je prévois
Que tu feras
Sans peine
Un appât d’un bœuf. »
Illico le jeunot
Fonça vers le bois
Où devant lui se planta
Un bœuf tout noir. -
Le tueur de thurs
Cassa du taureau
Le siège haut
Des deux cornes.
[Hymir dit :]
« Ton travail paraît
Bien pire
Au maître de navire
Que ton repos paisible. »
-
Le seigneur des boucs pria
Le parent de l’orang-outan
De mener plus loin
Le cheval-de-planche.
Mais ce géant-là
Se montra peu enclin
À ramer plus longtemps. -
Hymir le très féroce
Tira vite en l’air
Deux baleines
Sur son hameçon,
Tandis qu’à l’arrière,
Le proche d’Óðinn,
Véurr avec méthode
Se fabriquait une ligne. -
Appâta l’hameçon,
Le sauveur des humains,
Le seul tueur du serpent,
De la tête du bœuf.
Béa à l’appât,
D’en-dessous,
Le détestateur [6] des dieux,
La sangle de toute terre. -
Hissa hardiment,
Le vaillant Þórr,
Le serpent venimeux
Jusqu’au plat-bord.
Par en-dessus,
Du marteau frappa
La cime de l’hideuse coiffure
Du frère-de-combat du loup. -
Les monstres-de-pierre rugirent
Et les champs de rocs gémirent
Trembla la vieille terre,
De toutes parts ;
Sombra ensuite
Le poisson dans la mer. -
Le géant n’était pas content
Quand ils ramèrent au retour,
De sorte qu’à l’aviron, Hymir
N’était pas causant.
Il balançait la barre
D’un vent à l’autre. -
[Hymir dit]
«Voudras-tu faire
La moitié du travail avec moi,
Soit apporter les baleines
Chez moi à la ferme,
Ou attacher notre
Bouc-flottant ? » -
Se leva Hlórriði,
Empoigna la proue,
Avec l’eau récoltée,
Du cheval-d’océan
Le souleva seul,
Avec rames et écopes ;
Porta les cochons-d’écume
À la ferme du géant
Et à travers
Le chaudron-de-roc. -
Mais le géant
têtu, derechef,
Habitué à prouesse,
Avec Þórr ergotait ;
Il ne disait pas un homme fort,
Même s’il savait ramer
Avec vigueur,
À moins de briser le gobelet [7]. -
Et Hlórriði,
Quand il le tint en main,
Aussitôt fracassa
Une pierre-verticale avec le verre ;
Il le lança de son siège
Au travers des piliers ;
Pourtant on l’apporta intact
À Hymir après quoi. -
Jusqu’à ce que la jolie
Concubine lui donnât
Un fameux gentil conseil
Qu’elle seule connaissait :
« Frappes-en le crâne de Hymir,
Qui est plus dur,
Quand le géant a bien mangé,
Qu’aucun gobelet. » - […]
- Ils ne partirent pas loin
Avant que ne se couchât
Un des boucs de Hlórriði
À demi occis ;
L’os du cheval du timon
Était bancal,
Et la malice
De Loki [en était] le motif. - Mais tu as entendu
– Tout conteur des dieux
Peut le dire en détail –
Quelle consolation il reçut
De l’habitant-du-champ de lave
Qui lui donna
Ses deux enfants. -
Arriva le vigoureux
Au þing des dieux
Avec la bouilloire
Qu’avait eu Hymir
Et les vénérables
Iront vraiment boire
La bière chez Ægir
Chaque tonte-du-lin-de-venin.
Notes
[1] Père et fils sont d’illustres inconnus.
[2] Ce passage indique que le fermier chez lequel Þórr gare ses boucs s’appelle Egill. Snorri le mentionne sans le nommer (Gylfaginning, chap. 44). La strophe 38 (non traduite) prouve qu’il s’agit du même fermier dans les deux textes. Toutefois, Egill serait ici un géant, alors que son nom en ferait plutôt un alfe, d’autant qu’il habite le Miðgarðr.
[3] Ce monstre est peut-être moins hideux qu’il n’y paraît. Les filles de la mer étant les Neuf Vagues, une mamie à neuf cents têtes pourrait bien incarner la mer. Cela d’autant plus que Hymir a un rapport certain avec l’eau.
[4] Je suspecte la mère dorée au front blanc d’être une incarnation du soleil (féminin) de plus.
[5] Littéralement, les glaciers, ou du moins les glaçons.
[6] Mot fabriqué… même s’il est censé avoir été utilisé par Léon Bloy dans son Journal (1899). Ce détestateur des dieux s’oppose au sauveur des humains.
[7] Hymir, en plus de sa batterie de chaudrons, possède un gobelet de verre incassable pour aller avec.